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Le mot « grossophobie » est arrivé en France dans les années 90 via les associations militantes, les associations de défense des personnes grosses. Mais il est entré dans le dictionnaire seulement en 2019, donc 30 ans plus tard. Ça commence à vous donner une idée du problème. Ah oui, une petite précision concernant l'adjectif « gros ». Il faut faire attention parce qu'il a une connotation négative.
On considère que c'est mal poli de dire qu'une personne est « grosse ». Si c'est une femme, on dit plutôt qu'elle est « ronde » et si c'est un homme, on utilise les adjectifs « fort » ou « costaud ». C'est une manière de donner un sens plus positif à la corpulence en l'associant à la force physique. Mais Moi, j'ai décidé d'utiliser l'adjectif « gros » parce que, depuis quelques années, les personnes victimes de grossophobie essayent de lui donner un sens neutre. Quand on dit que quelqu'un est grand ou petit, ça n'a pas de connotation négative.
C'est une simple description. Bien, ça devrait être la même chose avec « gros ». Et c'est pour ça qu'on le place après le nom. On dit « une personne grosse » et pas « une grosse personne » parce que c'est le sens propre de l'adjectif, pas le sens figuré. C'est comme quand on dit « une femme grande », on fait référence à sa taille, alors qu'une grande femme, c'est une femme qui a fait de grandes choses, une femme qui a un certain prestige.
Moi, dans cet épisode, je vais utiliser l'adjectif « gros » de manière neutre, sans aucune connotation négative. Mais quand vous discutez avec des francophones, je vous conseille plutôt de dire « ronde », « forte » ou « corpulente » pour ne pas prendre de risque. Bref, pourquoi j'ai décidé de vous parler de grossophobie aujourd'hui bien parce que quand je préparais mon épisode sur les Français et la nourriture, j'en ai discuté avec ma copine et elle m'a dit que les Français avaient la réputation d'être grossophobes. Donc j'ai fait quelques recherches sur internet et j'ai vu qu'effectivement, elle n'était pas la seule à penser ça. Pour être honnête, ça m'a pas vraiment surpris.
Si vous avez écouté l'épisode Sur la nourriture, vous savez qu'il y a un vrai culte de la minceur en France. Notre idéal de beauté féminin, c'est une femme mince, très mince, plus que dans les autres pays européens par exemple. Et C'est un idéal qu'on exporte dans le monde entier avec l'archétype de la parisienne. Oui, vous savez, la parisienne, cette femme mince et élégante qui n'existe qu'au cinéma et dans les magazines de mode. Cette Parisienne qui peut manger des croissants sans grossir et boire du vin tous les jours sans devenir alcoolique.
Mais la réalité, c'est que 17% des Français sont obèses et 30% sont en surpoids. Donc si on les additionne, ça représente presque la moitié de la population. L'obésité et le surpoids, ce sont deux catégories définies en fonction de l'IMC, l'indice de masse corporelle. Si votre IMC est entre 25 et 30, vous êtes médicalement considéré en surpoids. Et s'il dépasse 30, vous êtes considéré obèse.
Mais le surpoids n'a pas les mêmes implications pour la santé que l'obésité. Par exemple, il y a beaucoup de sportifs qui sont considérés en surpoids simplement parce qu'ils sont très musclés. C'est important de le préciser parce que les médias français ont tendance à mélanger l'obésité et le surpoids en disant que la moitié de la population française est obèse, mais ça n'est pas vrai. Ce qui est vrai, par contre, c'est qu'une grande partie des Français et des Françaises ont un physique qui ne correspond pas au canon de beauté nationaux, à notre idéal de beauté. Et plus elles en sont éloignées, plus elles ont de chances d'être victimes de grossophobie.
Je dis « elles » plutôt « qu'ils » parce que vous allez voir que la grossophobie touche principalement les femmes. Moi, Je ne suis pas une femme et je suis normopondérée, autrement dit j'ai un IMC considéré comme normal, donc évidemment j'ai jamais été victime de grossophobie. Alors, pour mieux comprendre le problème, j'ai lu deux livres, un d'une sociologue prof à la Sorbonne et un autre écrit par une femme qui a souffert toute sa vie de grossophobie. En lisant ces livres, j'ai découvert trois choses qui m'ont profondément surpris. La première, c'est que la grossophobie existe depuis très longtemps.
Je croyais qu'elle était apparue avec l'augmentation du taux d'obésité dans les pays riches, mais non. Elle est profondément ancrée dans notre histoire. Ça explique pourquoi elle est encore socialement acceptée aujourd'hui, contrairement à d'autres formes de discrimination comme la xénophobie. Ensuite, j'ai appris que moi aussi, sans le savoir, j'avais des croyances grossophobes, en particulier sur ma façon de voir l'obésité. Et la troisième chose que j'ai découverte, c'est que la grossophobie va bien plus loin que les blagues et les insultes.
En France, aujourd'hui, les personnes grosses sont discriminées dans quasiment toutes les sphères de leur vie. À l'école, au travail, dans les médias, et même parfois dans leur famille. Bref, c'est un épisode qui m'a appris énormément de choses, aussi bien sur la société française que sur moi-même, donc j'espère que vous le trouverez utile vous aussi. À votre avis, depuis quand la grossophobie existe-t-elle Est-ce que les personnes grosses ont toujours été discriminées ou est-ce que c'est un phénomène récent J'ai trouvé la réponse dans le livre Grossophobie de Solène Caroff, cette sociologue-prof à la Sorbonne. Dans le premier chapitre, elle explique comment les perceptions sociales du corps ont évolué au cours de l'histoire.
Ce qui est intéressant, c'est qu'à certaines époques, on appréciait les fortes corpulences. Par exemple, au Moyen-Âge, être gros était le signe qu'on était en bonne santé, surtout pour les hommes. Ça montrait aussi notre statut social. Oui, parce que la nourriture était chère à cette époque, donc tout le monde n'avait pas les moyens d'être gros. Être gros, ça prouvait que vous aviez assez d'argent pour bien manger.
En plus, ça permettait de mieux résister aux famines. Et puis déjà à cette époque, on associait la corpulence des hommes à la force. Enfin, tant qu'ils étaient capables de monter à cheval et de se battre. Au contraire, la minceur, ou plutôt la maigreur, si on veut insister sur la connotation négative. La maigreur était associée à la laideur et à la mauvaise santé.
Donc au Moyen-Âge, il valait mieux être un peu trop gros qu'un peu trop maigre. Ensuite, quelques siècles plus tard, à la Renaissance, il suffit de regarder les tableaux de Rubens ou du Titien pour voir que les femmes rondes avaient la cote, qu'elles étaient populaires. Mais est-ce qu'elles représentaient vraiment l'idéal de beauté de cette époque. En fait, la réalité est un peu plus complexe. Même au Moyen-Âge, dans les milieux riches, on préférait les femmes minces aux femmes rondes.
Oui, parce que la minceur était perçue comme une forme de tendresse et de fragilité, des caractéristiques associées à la féminité. À la Renaissance aussi, même si certains artistes peignaient des femmes rondes, ça ne reflétait pas forcément les canons de beauté de l'époque. C'était plutôt une forme d'érotisation du corps des femmes. En réalité, il y a toujours eu des personnes qui critiquaient le fait d'être gros. Par exemple, vous connaissez peut-être Hippocrate, le fondateur de la médecine dans l'Antiquité grecque.
Hippocrate pensait déjà que l'excès de poids était dangereux pour la santé. Il a donc inventé la diététique. La diététique d'Hippocrate, c'était un mode de vie fondé sur la mesure, qui l'opposait à la démesure. Il disait qu'il fallait éviter toute forme d'excès, notamment les excès de nourriture. Donc vous voyez, déjà pendant l'Antiquité, on conseillait aux personnes grosses de perdre du poids.
Mais c'était pas seulement une affaire de santé ou d'esthétique. Avec la religion chrétienne, on a commencé à donner une dimension morale au fait d'être gros. Et oui, n'oublions pas que la gloutonnerie est le septième péché capital. La gloutonnerie ou la gourmandise, C'est plus ou moins la même chose. Le glouton, c'est celui qui mange la part des autres, celui qui prive les autres de nourriture pour satisfaire son appétit.
Il a un côté monstrueux qu'on retrouve dans la figure de l'ogre, ce personnage de conte qui mange les enfants. Donc, dès le Moyen-Âge, être gros est devenu immoral. Plus tard, au 19e siècle, cette moralisation de la corpulence a été renforcée par la révolution industrielle. Alors là, vous allez me dire « Quel rapport entre la révolution industrielle et la grossophobie » bien, grâce à la révolution industrielle, les gens ont commencé à pouvoir se nourrir plus facilement. La nourriture est devenue plus accessible.
Donc, pour la première fois, le peuple a eu les moyens d'être gros. Pas tout le monde, évidemment, mais on a commencé à voir des personnes grosses parmi les pauvres. Et pas seulement des hommes, mais aussi des femmes. Du coup, pour se différencier, la bourgeoisie s'est mise à faire l'apologie de la minceur. Pour les bourgeois, la minceur est devenue synonyme de valeurs positives comme le contrôle de soi, le dynamisme et l'intelligence.
Et forcément, les personnes grosses ont commencé à être considérées comme paresseuses, improductives et bêtes. Bref, des personnes inadaptées aux changements rapides dictés par la révolution industrielle. Pour les femmes, c'était encore pire. La bourgeoisie a imposé l'idée que la grosseur était un signe de vulgarité, que les femmes grosses étaient vulgaires et débauchées. D'ailleurs, cette idée est encore présente dans notre langue aujourd'hui.
En français, un gros mot, c'est un mot vulgaire. On dit aussi une grossièreté. Et on a l'adjectif « grossier » pour dire « vulgaire ». Bref, vous comprenez maintenant comment la révolution industrielle a renforcé cette association entre grosseur et immoralité. Mais c'est pas tout.
En plus d'être immoral, être gros est aussi devenu une maladie. Oui, parce qu'avec la médecine moderne, on s'est mis à tout mesurer, notamment la corpulence des individus. Par exemple en 1832 un statisticien belge, Adolf Ketley, a créé un indicateur qui permettait de mesurer l'obésité, l'indice Ketelet. Cet indice a ensuite été adopté par les médecins et il a été renommé Indice de masse corporelle, ou IMC pour faire plus court. Avec l'adoption de l'IMC, on a pu mesurer la corpulence des individus de manière précise et définir des seuils, des niveaux d'obésité.
L'obésité a commencé à être considérée comme une maladie. Progressivement, les gens ont internalisé ces nouvelles normes. C'est aussi devenu plus facile de mesurer sa corpulence soi-même, grâce à l'arrivée des balances dans les maisons. Avec une balance, plus besoin d'aller chez le médecin pour connaître son poids. On peut le contrôler tous les jours pour voir si on a pris ou perdu des kilos.
On a vu comment la bourgeoisie de la révolution industrielle a donné une dimension morale à la corpulence et comment la médecine moderne en a fait une maladie. Maintenant, il manque un dernier élément au tableau, la mode bien sûr. Le XXe siècle, c'est l'arrivée du prêt-à-porter, autrement dit des vêtements qui ne sont pas faits sur mesure, qui ne sont pas faits individuellement pour chaque client, mais qui ont des tailles standards. Autrement dit, ce ne sont plus les vêtements qui s'adaptent au corps des clients, mais les corps des clients qui doivent s'adapter aux vêtements. Donc, pour que le système fonctionne, il faut que les corps rentrent dans le moule, qu'ils s'uniformisent.
Cette uniformisation a poussé les corps à être de plus en plus minces. Non seulement minces, mais aussi jeunes. Oui, parce qu'à partir des mouvements étudiants dans les années 60, notamment en France les événements de mai 68, les critères esthétiques ont changé. L'idéal féminin n'était plus le corps des femmes, des mères, mais celui des jeunes filles. Dans les défilés de mode, les magazines féminins, etc., les femmes ont progressivement été remplacées par des jeunes filles au corps très mince.
En parallèle, les magazines féminins ont commencé à publier des régimes pour « aider » les femmes à atteindre cet idéal. Perdre du poids et rester jeune sont devenus les deux impératifs pour toutes les françaises. Voilà comment la tyrannie de la minceur s'est progressivement imposée en France. Être mince est devenu un impératif à la fois moral, médical et esthétique. Évidemment, cette obsession pour la minceur a renforcé la grossophobie.
En étudiant l'histoire, on comprend mieux comment la grossophobie s'est progressivement imposée dans les sociétés modernes. Aujourd'hui, ces croyances sont si profondément ancrées dans l'imaginaire collectif qu'on ne les remet plus en question. Une de ces croyances, la plus partagée, c'est que l'obésité et le surpoids sont liés à un manque de volonté. Autrement dit, si vous êtes obèse ou en surpoids, c'est parce que vous n'arrivez pas à vous contrôler, parce que vous mangez trop et que vous ne faites pas de sport. En France, la Ligue contre l'obésité a fait un sondage en 2020 pour connaître l'opinion des Français sur la question et 67%, les deux tiers des sondés, ont répondu que perdre du poids est d'abord une question de volonté.
Moi aussi, je croyais ça, jusqu'à ce que je lise « On ne naît pas grosse » de Gabriel Dédier. Dans son livre, Gabriel Dédier raconte son histoire. Elle raconte comment elle est devenue obèse et les conséquences que cela a eues sur sa vie. Quand elle était enfant, elle était un peu forte parce qu'elle était très sportive. Mais à l'adolescence, son père et sa mère ont commencé à lui dire qu'il fallait qu'elle perde du poids.
Son père était assez mince et sa mère avait des tendances anorexiques, donc il trouvait Gabriel grosse. Ils se sont mis à lui faire des remarques sur son poids à chaque repas. À 16 ans, après sa première année de lycée, ses parents ont décidé de l'envoyer voir un médecin. Ce médecin lui a prescrit un régime draconien, un régime drastique accompagné d'un traitement hormonal. Mais ça n'a pas du tout fonctionné.
Au contraire, Gabrielle a commencé à développer des troubles alimentaires. Elle allait manger en cachette le soir quand ses parents dormaient et elle mangeait des quantités énormes de nourriture même quand elle n'avait plus faim. Son poids a doublé en un an et à cause du traitement hormonal elle a commencé à avoir des boutons partout. Forcément, elle est devenue la risée de son lycée. Tous ses camarades se moquaient d'elle.
Elle a perdu toute confiance en elle et elle s'est progressivement isolée des autres. Par la suite, elle a changé de médecin, elle est allée voir d'autres spécialistes, mais tous les régimes qui lui ont prescrit ont échoué. Elle n'a jamais réussi à perdre les kilos qu'elle avait pris cette année-là, et elle est tombée dans la spirale de l'obésité. Le cas de Gabriel n'est pas un cas isolé. Comme je vous l'ai dit en introduction, aujourd'hui, quasiment la moitié des Français sont en surpoids ou obèses.
On ne peut pas l'expliquer simplement par un manque de volonté généralisée. Quand un phénomène se produit à une telle échelle, il y a forcément des facteurs structurels derrière Ces facteurs, vous les connaissez on les retrouve dans la plupart des pays occidentaux la malbouffe et la sédentarité La malbouffe, ça vient du verbe « bouffer » qui est une façon familière de dire « manger ». Par exemple, « J'ai bouffé avec des potes hier » ça veut dire « j'ai mangé avec des amis hier ». La bouffe, c'est donc la nourriture. Et la malbouffe, c'est la nourriture de mauvaise qualité.
Le fast-food, les aliments industriels, etc. Aujourd'hui, la nourriture est plus abondante que jamais dans les pays riches, mais beaucoup de ces aliments ont une valeur nutritionnelle très pauvre. Ils contiennent beaucoup de gras et de sucre, mais peu de nutriments. Ça a forcément un impact sur notre poids. Le second facteur structurel, la sédentarité, c'est le fait de peu se déplacer, de rester tout le temps au même endroit.
Aujourd'hui, quand on parle de mode de vie sédentaire, on fait surtout référence au manque d'activité physique. De moins en moins de personnes ont un travail physique. Pour beaucoup d'entre nous, travailler signifie passer 8 heures par jour assis à un bureau. Donc on doit se forcer à inclure des activités physiques en dehors du travail. Mais c'est pas facile pour tout le monde.
En plus de ces deux facteurs structurels bien connus, les recherches scientifiques tendent de plus en plus à montrer que l'obésité a aussi des causes biologiques et sociales. Par exemple, des études ont découvert que certains gènes nous prédisposent à l'obésité. Autrement dit, que l'obésité peut avoir des causes génétiques. Ces gènes agissent soit sur notre métabolisme, soit sur notre comportement. Ça explique pourquoi deux personnes qui ont exactement le même régime alimentaire et le même style de vie peuvent avoir des corpulences totalement différentes.
On en est tous plus ou moins conscients, On a tous des amis qui font des régimes draconiens mais qui n'arrivent pas à perdre de poids alors que d'autres peuvent manger tout ce qu'ils veulent sans prendre un gramme. A la salle de sport, il y a des gens qui arrivent à devenir musclés en quelques semaines et d'autres dont les progrès sont beaucoup plus lents alors qu'ils suivent exactement le même programme. On a beau être conscient de ces différences, on finit toujours par se dire que tout est une question de volonté. Moi par exemple, j'ai toujours été maigre. Ça peut sembler être une bénédiction, mais quand j'étais adolescent, j'étais très complexé par ça.
Je mangeais autant que mes amis et je faisais du sport plusieurs fois par semaine, mais j'étais toujours le plus maigre. Même quand je me forçais à manger plus, ça ne changeait rien. Évidemment, aujourd'hui, je suis content d'avoir ce métabolisme et de pouvoir manger tout ce que je veux sans grossir, mais ça m'a pris des années de comprendre que c'était aussi une question de gêne. Bizarrement, même en sachant ça, j'ai continué à me dire que les personnes obèses étaient responsables de leur poids, qu'elles n'avaient qu'à moins manger et faire du sport pour perdre leur kilo en trop. J'ai l'impression que la société est plus tolérante avec les personnes maigres qu'avec les personnes grosses ou c'est juste que j'étais plus indulgent avec moi-même, je sais pas.
Dans tous les cas, en lisant le témoignage de Gabriel Dédrier, j'ai appris que l'obésité a des causes multiples. Elle peut même être provoquée par un dérèglement hormonal, comme ça a été le cas pour elle. Attention, je ne suis pas en train de dire que les gènes et les hormones conditionnent tout et que l'alimentation et l'activité physique n'ont aucune importance. Évidemment, manger de manière équilibrée et faire du sport, ça reste la base pour être en bonne santé. Ce que j'essaye simplement de souligner ici, c'est qu'il existe plein d'autres facteurs qui influencent notre corpulence et sur lesquels nous n'avons aucun contrôle.
En plus des facteurs biologiques qu'on vient de mentionner, il existe aussi des facteurs sociaux, des facteurs liés au milieu, à l'environnement social. Aujourd'hui, les chercheurs disent même que l'obésité est une maladie sociale. Ça fait quelques dizaines d'années qu'on le sait aux États-Unis, mais en France, on l'a découvert plus récemment, vous avez plus de risques d'être obèse ou en surpoids en étant pauvre qu'en étant riche. Les sociologues français ont montré que chez nous, ce risque est multiplié par 4. Le taux d'obésité est 4 fois plus élevé parmi les familles françaises les plus pauvres que parmi les plus riches.
Quand on observe les jeunes ayant entre 8 et 17 ans qui sont en surpoids, les trois quarts sont issus des catégories socio-professionnelles défavorisées ou inactives, autrement dit dont les parents n'ont pas de travail. Ces inégalités se voient aussi au niveau géographique. Si quand vous allez en France vous visitez seulement les grandes villes, vous avez peut-être l'impression que l'obésité n'existe pas chez nous. Oui, parce que dans les grandes villes, il y a peu de familles pauvres. Les familles pauvres vivent généralement dans les petites villes ou à la campagne.
C'est pour ça que quand on regarde une carte de l'obésité en France, on voit que les régions les plus touchées sont les régions les plus pauvres économiquement, principalement le Nord et l'Est. Par exemple, le taux d'obésité est de 22% dans le nord, contre 17% au niveau national. Maintenant, la vraie question, c'est de savoir pourquoi la pauvreté favorise l'obésité. Si l'obésité était seulement une question de facteur biologique, il n'y aurait pas de telle différence entre les familles défavorisées et les familles aisées. Le taux d'obésité serait le même.
Alors, il y a ceux qui pensent que les pauvres sont paresseux par nature, ce qui expliquerait pourquoi ils sont également obèses, mais si vous écoutez ce podcast, j'imagine que vous n'adhérez pas à ce genre d'explications. Ce que montrent les sociologues, c'est que ces familles sont moins éduquées, donc elles ne sont pas toujours au courant des recommandations en matière de nutrition. Et même quand elles le sont, elles n'ont pas les moyens d'acheter les aliments qui sont recommandés. Quand on n'est pas sûr d'avoir assez d'argent pour nourrir sa famille, on préfère acheter des kilos de pâtes plutôt que des légumes bio. Et pour le reste, tout est plus difficile aussi.
Comme ces familles vivent dans des petites villes, elles n'ont pas toujours d'équipement sportif à proximité et elles ont moins accès aux soins médicaux. Tous ces facteurs se cumulent et expliquent pourquoi le taux d'obésité est plus élevé dans les milieux défavorisés. Le pire, c'est que les pouvoirs publics semblent totalement ignorer ce problème. Je me souviens, quand j'habitais encore en France, il y a eu une grande campagne nationale pour lutter contre l'obésité, et le slogan, c'était « Pour être en bonne santé, mangez 5 fruits et légumes par jour. Comme si cette solution était accessible à tous.
Mais imaginez le sentiment de culpabilité des parents qui n'avaient pas les moyens d'acheter 5 fruits et légumes par jour pour leurs enfants et qui entendaient ce message en boucle à la radio ou la télévision. Avec ce genre de discours moralisateur, toute la responsabilité est mise sur les individus en ignorant totalement les causes biologiques et sociales de l'obésité. Aujourd'hui, grâce à la recherche scientifique, on sait que l'obésité est une maladie multifactorielle. Les chercheurs ont identifié plus de 110 facteurs qui contribuent à l'obésité. Mais malgré ces découvertes, les gens continuent de croire qu'être gros est un choix de vie.
Et cette croyance légitime la grossophobie. D'ailleurs, un Français sur cinq pense que la grossophobie peut être positive parce qu'elle encouragerait les personnes obèses à perdre du poids. Autrement dit, faire des remarques ou des blagues à des personnes grosses pourrait les aider à maigrir. 20% des Français pensent ça, selon un sondage de 2020 réalisé par la Ligue contre l'obésité. Je sais pas si c'est pareil dans d'autres pays.
Je me dis que c'est peut-être quelque chose de typiquement français, se moquer de quelqu'un pour l'aider. C'est exactement ce qu'a vécu Gabriel Dédié dans sa famille. Ses parents lui disaient par exemple « Tu devrais faire plus de sport, tu manges mal, tu n'y mets pas du tien. » Ah oui, ça c'est une bonne expression, « y mettre du sien ». Ça veut dire faire des efforts pour réussir un projet.
Des efforts qui sont parfois des sacrifices. On dit aussi « donner de sa personne ». Quand les parents de Gabriel lui disaient qu'elle n'y mettait pas du sien, C'était une manière de lui faire comprendre qu'elle ne faisait pas assez d'efforts pour perdre du poids et que c'était entièrement de sa faute si elle était obèse. Ça, malheureusement, c'est un schéma classique des parents qui créent des troubles de l'alimentation chez leurs enfants, Souvent parce qu'ils ont eux-mêmes une relation compliquée avec la nourriture. Je vais citer un autre sociologue français, Thibault de Saint-Paul.
Les parents responsabilisent les enfants dans leur rapport au corps et s'ils échouent, ils sont culpabilisés. Moi c'est quelque chose que j'ai pu observer aussi dans ma famille. Je me souviens que quand mon petit frère avait environ 12 ans, il a commencé à prendre un peu de poids, à être un peu rond. Vraiment rien d'alarmant, rien de grave, mais comme dans ma famille on est plutôt mince, on l'a remarqué. Et mon père a commencé à lui dire qu'il devrait arrêter de manger du Nutella s'il ne voulait pas devenir obèse.
Alors à l'époque, ça ne m'avait pas choqué, mais récemment mon frère m'a rappelé cette histoire et je me suis rendu compte que ça l'avait marqué, qu'il y pensait encore de temps en temps. Alors oui, c'est bien de mettre en garde ses enfants contre les dangers du Nutella, Mais peut-être que le vrai problème, c'était qu'il y avait du Nutella à la maison. C'était pas mon frère à 12 ans qui allait s'acheter des pots de Nutella tout seul au supermarché. Et peut-être aussi qu'il n'a pas exactement le même métabolisme que mon père ou moi. Il arrive souvent que des frères et sœurs aient un métabolisme différent.
Bref, c'est seulement une anecdote, mais les enquêtes sociologiques montrent que c'est un phénomène très fréquent. Une autre conclusion importante de ces enquêtes, c'est que les femmes sont plus souvent victimes de grossophobie que les hommes. Dans l'épisode sur les Français et la nourriture, je vous avais dit que la France est un des pays où il y a l'écart le plus important entre les idéaux de beauté féminin et masculin en termes de corpulence. On aime les femmes très minces et les hommes costauds, les hommes un peu gros. Donc forcément, les hommes gros ont moins de problèmes que les femmes grosses.
Il y a une pression mise sur les femmes tout au long de leur vie pour qu'elles restent minces. Ça commence très jeune, dès l'adolescence. Dans une enquête publiée il y a quelques années, la moitié des filles de 15 ans disaient qu'elles avaient besoin de faire un régime, alors qu'à cet âge, seule une fille sur dix est en surpoids. Autrement dit, d'un point de vue médical, elles n'ont pas du tout besoin de perdre du poids, mais elles veulent quand même faire un régime. Bien sûr, c'est pas seulement la faute des parents, c'est aussi celle des réseaux sociaux qui ont beaucoup contribué à donner aux jeunes filles une image négative de leur corps.
Cette pression continue à s'exercer, même à la maternité. Une fois qu'une française a accouché, qu'elle a donné naissance, on s'attend à ce qu'elle retrouve son poids d'origine rapidement. Dans d'autres pays, on comprend que les mères ne retrouvent pas le poids qu'elles faisaient avant de tomber enceinte, mais en France, non. L'exigence de minceur reste la même, même après avoir eu des enfants. Et ça se voit très clairement dans le monde du travail.
Plusieurs études ont montré qu'en France, pour les femmes, il existe un lien statistique entre IMC et salaire. Plus une femme a un IMC bas, plus elle a un bon salaire. Autrement dit, plus une femme est mince, mieux elle gagne sa vie. Le sociologue Thibault de Saint-Paul a une bonne formule pour décrire ce phénomène. Il dit qu'en France, pour les femmes, la minceur est un diplôme supplémentaire, un diplôme en plus.
Et pour celles qui n'ont pas ce diplôme, celles dont la corpulence ne correspond pas à cet idéal de beauté, tout est plus compliqué. Trouver un travail, avoir un salaire correct et même se faire soigner. Ça aussi, ça m'a beaucoup surpris, La grossophobie dans le milieu médical. Quand j'ai lu le livre de Gabriel Dédier, j'ai été vraiment choqué de voir la façon dont certains médecins la traitaient. À quel point ils étaient méprisants avec elle.
Être méprisant, Ça signifie être arrogant et irrespectueux. Montrer à quelqu'un qu'on pense lui être supérieur. C'est horrible parce que quand on va chez le médecin, c'est parce qu'on se sent mal et qu'on a besoin d'aide. Mais certains médecins ont tendance à attribuer tous les problèmes de santé à l'obésité. Si vous avez un rhume, c'est parce que vous êtes obèse.
Si vous avez des maux de tête, c'est parce que vous êtes obèse. Donc, au lieu de prescrire des médicaments, le traitement est toujours le même, vous devez perdre du poids. Alors évidemment, je dis pas que l'obésité ne provoque pas de problèmes de santé, surtout les formes d'obésité graves, il y a des risques bien connus, mais le problème c'est qu'à cause des croyances grossophobes, certains médecins ne traitent pas les personnes obèses de manière objective. Ils prescrivent tout de suite un régime, sans chercher plus loin, mais parfois ces régimes finissent par avoir des conséquences bien plus graves que les problèmes de poids, comme ça a été le cas pour Gabriel Dédier. Si bien qu'aujourd'hui, les sites d'associations contre la grossophobie publient des listes de médecins et de spécialistes non-grossophobes, et au contraire, une liste de ceux à éviter.
Enfin, Le dernier problème, c'est le manque de représentation des personnes grosses ou obèses dans les médias, les films, etc. Quasiment la moitié des Français sont en surpoids ou obèses, mais on ne les voit jamais à la télévision ni dans les magazines. Et les rares fois où ils sont représentés, ce sont des caricatures. Le meilleur ami gros mais un peu bête, la fille grosse qui essaye de perdre du poids pour enfin trouver l'amour... A chaque fois, ces personnages sont réduits à leur corpulence, comme si leur poids définissait leur personnalité.
Ça fait déjà plusieurs années que ce débat existe pour les personnes issues des minorités, mais pour les personnes en surpoids ou obèses, ça reste assez tabou parce que certains pensent que si on leur donnait plus de visibilité, ça banaliserait l'obésité et encore plus de personnes deviendraient obèses. En tout cas en France, selon le sondage de la Ligue contre l'obésité que j'ai déjà cité, Un Français sur trois le pense, un tiers des Français. Mais on ne pourra pas lutter efficacement contre la grossophobie tant qu'on ne donnera pas plus de visibilité aux personnes qui en sont victimes. Pour conclure, je répète que je ne nie pas les risques de santé liés à l'obésité. L'obésité peut avoir des conséquences graves, c'est pour ça qu'elle est considérée comme une maladie par l'Organisation mondiale de la santé.
Le problème, et là je cite Gabriel Dédier, c'est que nous vivons dans une société schizophrène, grossir devient de plus en plus facile, mais les obèses sont des pestiférés. Des pestiférés, ce sont des personnes qui sont malades de la peste, cette maladie infectieuse qui a fait des millions de morts au Moyen-Âge. Contrairement à ce que pense une partie des Français, l'agrossophobie n'est pas un moyen d'encourager les personnes grosses à perdre du poids. Bien souvent, elle ne fait que renforcer le problème, elle en fait une simple question de volonté individuelle, alors que, comme on l'a vu, les facteurs biologiques et sociaux jouent un rôle déterminant. Voilà, Je suis pas sûr d'avoir complètement répondu à la question.
J'ai pas réussi à trouver d'études sérieuses qui comparent la grossophobie au niveau international. J'ai l'impression qu'elle est plus présente chez nous que dans d'autres pays, mais peut-être que je me trompe. Dites-moi dans les commentaires de l'épisode s'il y a beaucoup de grossophobie chez vous, comme ça on aura quelques éléments de réponse. Dans tous les cas, merci pour votre attention et je vous retrouve dans deux semaines avec Ingrid pour parler de télétravail. A bientôt Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org