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Episode 126 Comment Bernard Arnault est-il devenu l'homme le plus riche du monde Salut à toutes et à tous, j'espère que vous allez bien. J'aimerais commencer cet épisode par une pensée pour nos amis turcs et syriens qui ont été frappés par une terrible catastrophe il y a quelques jours, le 6 février. Je fais référence bien sûr à ce séisme, ce tremblement de terre qui a fait plus de 40 000 morts Plusieurs auditeurs turcs nous ont écrit pour nous décrire la situation sur place et croyez-moi, c'est encore pire que ce qu'on peut voir dans les médias Donc je profite de cet épisode pour vous inviter à faire un don Si vous ne l'avez pas encore fait et si vous en avez les moyens, bien sûr il y aura un lien sur la page de l'épisode et courage à tous nos amis turcs et syriens. Aujourd'hui, on va parler d'un sujet plus léger. On va parler d'un Français dont vous avez peut-être entendu le nom récemment parce qu'il est devenu l'homme le plus riche du monde.

Ce Français, c'est Bernard Arnault, le PDG du groupe LVMH, qui possède des marques de luxe comme Louis Vuitton, Dior, Céline, Kenzo, mais aussi des champagnes comme Moët et Dom Pérignon et plein d'autres entreprises prestigieuses. Bernard Arnault est le PDG de cet empire. PDG, autrement dit Président Directeur Général, l'équivalent français de CEO. Selon le magazine Forbes, Bernard Arnault est aujourd'hui l'homme le plus riche du monde, devant Elon Musk et Jeff Bezos. Sa fortune est estimée à plus de 210 milliards de dollars, contre 200 pour Elon Musk et 120 pour Jeff Bezos.

Alors on pourrait se dire, Cocorico, un français en tête du classement Forbes, c'est une belle réussite, mais vous allez voir qu'en France, Bernard Arnault n'a pas que des fans, il ne fait pas l'unanimité. On peut même dire qu'il a de nombreux détracteurs. C'est quelqu'un qui polarise énormément les débats. D'un côté, plutôt du côté droit de la scène politique, il est considéré comme un entrepreneur de génie qui dynamise notre économie et fait briller la France sur la scène internationale. Au contraire, un ancien candidat de gauche à l'élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, a qualifié Bernard Arnault de « pire des offenses ».

Nous avons dans notre pays la pire des offenses. Le premier milliardaire du monde est français. Supposons que j'ai un milliardaire français, premier milliardaire du monde, il a inventé le vaccin contre le cancer. J'aurais du mal à dire du mal. Ou bien il a inventé un super train.

Enfin, il a inventé quelque chose d'utile aux autres êtres humains. On aurait un peu plus de mal de dire du mal. Et lui, qu'est-ce qu'il a inventé Rien.

Ce qui est sûr, c'est que Bernard Arnault n'apprécie pas cette célébrité parce que c'est un PDG plutôt discret et introverti, contrairement à Elon Musk par exemple. Il donne rarement des interviews, il n'aime pas apparaître dans les médias et il ne passe pas ses journées sur Twitter à dire tout ce qui lui passe par la tête. Mais c'est difficile de rester discret quand on devient l'homme le plus riche du monde, surtout dans un pays comme la France. Chez nous, Bernard Arnault est plus que le PDG de LVMH, c'est un symbole, un symbole qui nous divise profondément. Par exemple, en ce moment, le gouvernement français essaye de réformer le système des retraites, mais beaucoup de Français y sont opposés.

Ingrid vous en a parlé dans le dernier épisode. Et dans les manifestations contre cette réforme, on voit souvent des personnes qui portent un masque à l'effigie de Bernard Arnault. Un masque qui représente le visage de Bernard Arnault. Vous vous demandez peut-être quel est le rapport entre le système des retraites et Bernard Arnault. Bien, une partie des Français considère que pour financer le déficit des retraites, il faut taxer les plus riches.

C'est une idée qui vient de l'organisation Oxfam, une organisation dédiée à la lutte contre les inégalités. Oxfam a publié un article dans lequel elle montre qu'on pourrait financer le déficit des retraites en créant une nouvelle taxe de 2% sur la fortune des Français les plus riches. Avec une telle taxe, on n'aurait pas besoin d'augmenter l'âge de départ à la retraite. Et comme Bernard Arnault est la première fortune française, il est devenu la mascotte des grandes fortunes chez nous. Bref, aujourd'hui Bernard Arnault est omniprésent dans le débat public en France, donc dans cet épisode je vais vous raconter son parcours, son histoire, vous allez découvrir comment il est devenu l'homme le plus riche du monde, sa rivalité avec un autre milliardaire français et pourquoi il est tellement critiqué aujourd'hui.

Quand on s'intéresse aux milliardaires, on se pose souvent la question des origines de leur fortune. Sont-ils devenus riches grâce à leur talent personnel ou bien simplement parce qu'ils sont nés dans la bonne famille En fonction de la réponse, on ne leur accorde pas la même légitimité. Mais dans le cas de Bernard Arnault, c'est assez difficile de répondre. Oui, il vient d'une famille aisée. Son père était ingénieur et chef d'entreprise.

Le petit Bernard a reçu une éducation bourgeoise typique de cette époque avec des cours de piano, d'équitation et de tennis. Et après ses études, il a rejoint l'entreprise familiale dont il est devenu directeur à la place de son père quelques années plus tard. Donc ça ressemble au parcours classique de l'héritier. Mais Bernard Arnault était aussi un gros bosseur. Il travaillait beaucoup.

Par exemple, il a fait l'école Polytechnique, la meilleure école d'ingénieurs en France. Et c'est pas une école dans laquelle on peut acheter sa place. Non, il faut vraiment être un élève brillant pour réussir le concours. Ce qui était le cas du jeune Bernard. Ensuite, l'entreprise familiale n'avait rien à voir avec le géant LVMH, tant au niveau de sa taille que de son secteur d'activité.

C'était une entreprise de BTP, bâtiment et travaux publics, autrement dit une entreprise de construction. Et elle comptait environ 1000 salariés. Alors oui, c'est pas rien, mais c'est incomparable avec les 200 000 employés du groupe LVMH. Quand Bernard Arnault a rejoint l'entreprise familiale, il a convaincu son père de faire un changement radical, d'abandonner l'activité de construction pour se concentrer sur la promotion immobilière. Autrement dit, de vendre des maisons mais de les faire construire par des sous-traitants, par d'autres entreprises.

C'était un pari très risqué, surtout qu'il avait seulement 29 ans à cette époque, mais son père l'a écouté, il lui a fait confiance et le pari a été gagnant. En trois ans, le chiffre d'affaires de l'entreprise a doublé avec moitié moins de salariés, avec deux fois moins de salariés, ce qui évidemment a fait exploser ses profits. Là, on trouve déjà les ingrédients qui ont fait le succès de Bernard Arnault tout au long de sa carrière. C'est presque toujours la même recette. Se concentrer sur les activités les plus rentables, vendre le reste et réinvestir les profits pour accélérer la croissance.

Et quand je dis « vendre le reste », Ça implique bien sûr de licencier des salariés, de les mettre au chômage. Mais ça, on va en reparler plus tard. Pour le moment, on est en 1981, Bernard Arnault a 32 ans, il est à la tête d'une entreprise florissante, mais un événement vient bouleverser ses plans, l'élection de François Mitterrand, un président socialiste. C'est la première fois dans l'histoire de la 5ème République qu'un président de gauche est élu, et comme on est en pleine guerre froide, certains français ont peur de voir des chars soviétiques défiler sur les Champs-Élysées. J'exagère pas, c'était vraiment la réaction d'une partie de la droite française à l'époque.

Bernard Arnault prend peur, lui aussi, cette victoire ne lui plaît pas du tout, alors il décide de s'exiler aux Etats-Unis pour ouvrir une filiale, une branche de l'entreprise familiale. Il se lance dans un grand projet immobilier à Palm Beach, en Floride, mais cette fois, c'est un échec car il connaît mal le marché. Par contre, il rencontre un jeune promoteur américain aux dents longues. « Avoir les dents longues », c'est une expression pour dire « être ambitieux ». Mais c'est plutôt négatif, c'est plutôt une critique.

Ce jeune promoteur aux dents longues, c'est Donald Trump. Et quand il deviendra président des États-Unis 35 ans plus tard, il invitera son ami Bernard à déjeuner à la Maison-Blanche pendant la visite officielle d'Emmanuel Macron. Bref, Bernard Arnault étend son réseau aux États-Unis et se fait des amis haut placés parmi les expatriés français de New York, jusqu'à ce qu'en 1984, Un de ses amis l'informe d'une opportunité alléchante. Une chose alléchante, c'est une chose qui donne envie. Vous savez, parfois, on voit un plat qui nous fait très envie et on se lèche les lèvres par anticipation.

C'est un plat alléchant. Bernard Arnault entend parler d'une opportunité alléchante, mais pour la saisir, il doit rentrer en France. Dans les années 80, la France est en pleine désindustrialisation. Beaucoup d'industries disparaissent, elles sont délocalisées dans les pays les coûts de production sont moins élevés. Parmi ces industries, il y a la filière textile, la production de vêtements.

Produire des vêtements en France devient de moins en moins rentable. Et le groupe français numéro 1 du secteur est en grande difficulté. C'est le groupe Boussac, un géant qui possède plusieurs entreprises dont Christian Dior et de nombreux ateliers de production. À cause de mauvaises décisions stratégiques, le groupe dépose le bilan en 1981. Déposer le bilan, c'est quand une entreprise déclare à la justice qu'elle ne peut plus payer ses dettes, qu'elle est en faillite.

Quand le groupe Boussac dépose le bilan, l'État français en prend le contrôle pour essayer de le sauver. Oui, parce que Boussac a 16 000 employés, principalement dans le nord de la France. Donc ce serait un désastre économique si toutes ces personnes se retrouvaient au chômage. L'État Français paie une partie des dettes de Boussac et il lui accorde plusieurs centaines de millions de francs de subvention. Rappelez-vous que c'était au début des années 80, l'euro n'existait pas encore.

Après ça, l'État commence à chercher un repreneur pour Boussac, quelqu'un qui va pouvoir racheter l'entreprise et la remettre sur les rails. Et devinez qui est sur la liste des repreneurs potentiels Bernard Arnault. Ça peut sembler bizarre parce qu'il n'a aucune expérience dans ce secteur, il n'est qu'un jeune promoteur immobilier à la tête d'une entreprise familiale, mais grâce à ses relations, il arrive à présenter sa candidature. Et il a de bons arguments pour convaincre l'État français, il promet de sauver 12 000 emplois, plus que ses concurrents. Mais il y a un petit problème.

Bernard Arnault n'a pas les fonds pour racheter Boussac. Les fonds, autrement dit l'argent. Alors encore une fois, il décide de prendre un très gros risque. Il investit tous les revenus de l'entreprise familiale pour emprunter l'argent à la banque. Plusieurs centaines de millions de francs, environ 60 millions de dollars.

Donc vous voyez que Bernard Arnault n'a pas froid aux yeux. Il n'a pas peur de prendre des risques. Et ça marche. Il réussit à emprunter l'argent et à convaincre l'État français de lui laisser les rênes, de lui vendre Boussac. À seulement 36 ans, Bernard Arnault devient le propriétaire d'un des plus grands groupes textiles de France.

Mais il ne fait pas exactement ce qu'il avait promis. Au lieu de sauver un maximum d'emplois, il se met à vendre toutes les activités qui ne sont pas assez rentables. Rappelez-vous, c'est la fameuse recette Arnault. Il ferme des usines, vend des entreprises et au final il conserve 40% d'emplois de moins que ce qu'il avait promis. Donc vous pouvez imaginer que ça ne plaît pas du tout à l'État français.

Les pouvoirs publics ont injecté quasiment un milliard de francs pour sauver les emplois du groupe Boussac et finalement c'est surtout Bernard Arnault qui en a profité. Oui, parce que pour Bernard Arnault, les affaires vont bien. Très bien même. Il a gardé les seules entreprises du groupe qui l'intéressaient réellement, Christian Dior et Le Bon Marché, un magasin de luxe parisien. Et grâce à la vente des autres activités et aux subventions de l'état, il a restauré la rentabilité de Boussac et rassuré les actionnaires.

En deux ans, le cours de l'action Boussac a été multiplié par trois. Bernard Arnault se retrouve à la tête d'une entreprise qui vaut 8 milliards de francs en ayant seulement investi 40 millions. En devenant propriétaire de Boussac, Bernard Arnault entre dans la cour des grands et il commence à faire parler de lui. Il a déjà ses partisans et ses détracteurs. Pour ses partisans, c'est un jeune génie de la finance qui a réussi à sauver un groupe en faillite.

Pour ses détracteurs, c'est un menteur qui a profité des aides de l'État pour s'enrichir en détruisant des milliers d'emplois. Donc vous voyez, ce sont deux visions radicalement opposées. Et aujourd'hui encore, presque 40 ans plus tard, les détracteurs de Bernard Arnault continuent de citer l'affaire Boussac pour remettre en cause la légitimité de sa fortune. Mais n'allons pas trop vite, Revenons aux années 80, à la fin des années 80. Bernard Arnault possède Christian Dior, mais la concurrence sur le marché du luxe est rude.

D'autant plus qu'un nouveau groupe vient de voir le jour grâce à la fusion de deux grandes entreprises, Louis Vuitton d'un côté et Moët & Nessi de l'autre. Moët c'est une marque de champagne et Nessi une marque de cognac. Et ce groupe c'est bien sûr LVMH. Donc ce qu'il faut retenir ici c'est que ce n'est pas Bernard Arnault qui a créé LVMH. LVMH est un groupe prometteur, mais il a un gros problème.

Ces deux fondateurs ne s'entendent pas du tout. Le directeur de Louis Vuitton et celui de Moët & Nessi n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la stratégie à suivre, ce qui inquiète les actionnaires. C'est qu'Henri Racamier, le directeur de Vuitton, appelle Bernard Arnault à l'aide. Il lui demande d'acheter des actions pour l'aider à remettre de l'ordre dans le groupe. Mais avec cette décision, Henri Racamier fait entrer le loup dans la bergerie.

Une bergerie, c'est un endroit on garde les moutons. Donc « faire entrer le loup dans la bergerie », c'est une expression qui signifie « introduire une personne dans un lieu elle pourrait être dangereuse ». En anglais, je crois qu'on dit « laisser le chat avec les pigeons ». En faisant entrer Bernard Arnault dans le capital de LVMH, Henri Racamier prend de gros risques. Il laisse entrer le loup dans la bergerie.

Bernard Arnault comprend qu'il a un nouveau coup à jouer, une nouvelle opportunité à saisir. Il profite de la mésentente des deux directeurs en disant qu'il n'a pas l'intention de prendre la direction de LVMH, qu'il veut juste être un médiateur pour les aider à résoudre leur conflit. Mais Deux ans plus tard, il réalise une OPA hostile qui lui permet de devenir l'actionnaire majoritaire de LVMH. Une OPA, offre publique d'achat, hostile, c'est quand une entreprise se fait racheter sans l'accord du conseil d'administration. Le conseil d'administration ne veut pas vendre l'entreprise mais un investisseur en prend le contrôle en achetant plus de 50% des actions, des parts.

Grâce à cette OPA hostile, Bernard Arnault réussit à se débarrasser des deux anciens présidents de LVMH et il devient le seul maître à bord, le capitaine du navire. Il ajoute ses propres entreprises au groupe LVMH, notamment Christian Dior, puis il achète d'autres marques comme Kenzo, Céline, Fendi le joaillier Tiffany aux États-Unis plus récemment mais aussi une chaîne d'hôtels de luxe d'autres producteurs de vins espiritueux un constructeur de yachts Bref, avec son empire du luxe Bernard Arnault a tout ce qu'il faut pour satisfaire les désirs des clients fortunés dans le monde entier. Mais avec cette stratégie d'opéa hostile, Bernard Arnault se fait beaucoup d'ennemis. Certains commencent à le surnommer le prédateur. Une biographie publiée quelques années plus tard s'intitule l'ange exterminateur.

Ange parce qu'il sauve des entreprises en difficulté, mais exterminateur parce qu'il n'hésite pas à détruire des emplois pour améliorer la rentabilité de ses acquisitions. C'est pour ça que certaines marques n'ont aucune envie d'intégrer le groupe LVMH. Elles préfèrent garder leur indépendance. D'ailleurs, il faut pas croire que Bernard Arnault arrive à acheter toutes les entreprises qu'il veut. Il a aussi connu des échecs, par exemple avec la maison Hermès en 2010.

Hermès, c'est tout le contraire de LVMH. C'est une entreprise qui appartient à la même famille depuis deux siècles, les Dumas. Mais comme dans toutes les entreprises familiales, il y a parfois des conflits entre les héritiers. Encore une fois, Bernard Arnault essaie de jouer sur cette division pour prendre le contrôle d'Hermès. Il achète secrètement des actions Hermès jusqu'à détenir 23% de son capital.

Quand la famille Dumas s'en rend compte, elle s'unit contre Bernard Arnault et réussit à faire échouer l'OPA. Bernard Arnault est obligé de vendre la majorité de ses actions Hermès, et la famille Dumas en reste l'actionnaire majoritaire. Mais même sans Hermès, LVMH est de loin le numéro 1 mondial du luxe aujourd'hui. Dans les médias, on entend souvent que c'est un fleuron de l'économie française. Un fleuron, au sens littéral, c'est un ornement en forme de fleur, mais au sens figuré, c'est une chose remarquable, une chose exceptionnelle.

Les partisans de Bernard Arnault considèrent que LVMH est un bijou qui fait briller la France dans le monde et dont on devrait être fiers. Selon eux, tous les français devraient être fiers de la réussite de LVMH et reconnaissants envers Bernard Arnault. On ne peut pas nier que LVMH est un succès économique. Par exemple, l'année dernière, le groupe a fait 14 milliards d'euros de profit, autant que Tesla. Et pour faire face à la demande, les entreprises LVMH ont créé environ 15 000 postes en France, si bien que LVMH a été le premier recruteur du pays alors que beaucoup d'entreprises ont licencier des salariés suite aux conséquences du Covid.

En plus, les employés des entreprises LVMH sont très bien payés, ils font partie des 20% des salariés les mieux payés en France. D'ailleurs je me souviens que pendant mes études, beaucoup de mes camarades rêvaient de travailler chez LVMH. Enfin, Bernard Arnault a un dernier argument pour convaincre ses détracteurs. Son groupe réalise 90% de son chiffre d'affaires hors de France mais il paie la moitié de ses impôts chez nous. Donc grâce à LVMH, l'État français reçoit de l'argent qui vient de l'étranger.

Mais on verra un peu plus tard que Bernard Arnault est aussi un champion en matière d'optimisation fiscale. Il a beau être l'homme le plus riche de la planète, payer ses impôts, il aime pas ça. Maintenant on va s'intéresser à un autre nom qui est souvent associé à celui de Bernard Arnault, François Pinault. C'est facile de les confondre, Arnault, Pinault, en plus ils s'écrivent pareil, A-U-L-T à la fin. Vous allez voir que malgré leurs nombreux points communs, il ne s'apprécie pas beaucoup.

Et ça c'est un euphémisme. François Pinault, c'est le créateur du groupe Kering. Il a fait fortune dans les années 80 grâce à une stratégie similaire à celle d'Arnaud, il rachète des entreprises en faillite et les intègre à son groupe pour les relancer. Mais contrairement à Bernard Arnaud, au début François Pinault ne s'intéressait pas au secteur du luxe. Lui, sa spécialité, c'était la distribution, les chaînes de magasins.

Leur rivalité commence à la fin des années 90. Bernard Arnault a une nouvelle proie, la marque italienne Gucci. Il possède déjà des parts de l'entreprise et il s'apprête à en acheter d'autres pour en devenir l'actionnaire majoritaire. Mais le jour de la vente, François Pinault annonce qu'il a acheté 42% des actions Gucci. Il a coupé l'herbe sous le pied d'Arnaud.

Il a saisi l'opportunité avant lui. Bernard Arnaud est furieux que François Pinault vienne marcher sur ses plates-bandes. « Marcher sur les plates-bandes de quelqu'un », C'est une expression qui signifie « venir sur le terrain » ou « la place de quelqu'un ». Bernard Arnault était le numéro 1 incontesté du luxe, il était sur le point de racheter Gucci, une très belle marque italienne, mais François Pinault est venu le défier sur son propre terrain en devenant le premier actionnaire de Gucci. Cet échec, Bernard Arnault l'a eu en travers de la gorge.

Il l'a très mal digéré. D'ailleurs, au début, il ne l'a pas digéré du tout. Il a attaqué François Pinault en justice pour faire annuler son rachat. Il a recruté des détectives privés pour aller fouiller dans les poubelles de François Pinault, mais il n'a pas réussi à faire annuler le rachat. Pinault est resté propriétaire de Gucci.

Pire encore, il s'est mis à racheter d'autres marques de luxe, comme Yves Saint Laurent et Balenciaga, mais aussi des champagnes et des vins prestigieux. Il a intégré toutes ces entreprises au sein de Kering, groupe qui est devenu le numéro 2 mondial du luxe et le principal concurrent de LVMH. Dans un sens on peut dire que cette rivalité a été bénéfique pour Bernard Arnault, elle l'a poussé à continuer sa stratégie d'expansion pour rester numéro 1, mais d'un autre côté, certaines de ses acquisitions semblaient plus motivées par son ego que par la rationalité économique. Arnaud et Pinault ont été pris dans une guerre d'égo. Plusieurs fois, ils ont acheté une marque beaucoup plus chère que le prix du marché, simplement pour éviter que leurs rivales ne l'obtiennent.

En 2009, ils ont enterré la hache de guerre. Ils ont dîné ensemble et annoncé qu'ils faisaient la paix. François Pinault a pris sa retraite, il a laissé les rênes de Kering à son fils, François-Henri Pinault. Donc officiellement, la guerre entre Pinault et Arnault est terminée. Mais il y a un terrain sur lequel il continue de s'affronter, le marché de l'art.

François Pinault est un grand collectionneur d'art contemporain. En 1998, il est devenu un acteur majeur sur le marché de l'art quand il a acheté Christie's, la maison de vente aux enchères. Ça lui a donné un accès direct à des œuvres rares et recherchées. Il a constitué une collection si impressionnante qu'il a voulu l'exposer au public. Bah oui, à quoi ça sert d'avoir des œuvres qui valent des millions si personne ne peut les voir Ce lieu, il l'a trouvé à Venise, en Italie, le Palazzo Grassi.

En 2006, il a ouvert les portes de sa collection en grande pompe. En grande pompe, ça signifie avec de l'abondance et du luxe. Avec ce lieu d'exposition prestigieux pour sa collection, il s'est imposé comme le plus grand collectionneur d'art français. Mais cette fois, c'est Bernard Arnault qui a décidé de venir sur ses plates-bandes. Bernard Arnault est aussi un collectionneur d'art, mais c'est surtout via son groupe LVMH qu'il achète des œuvres, contrairement à François Pinault qui le fait à titre privé.

En fait, depuis les années 90, LVMH est un des plus grands mécènes en France. Le groupe de Bernard Arnault aide à financer des expositions dans les musées, à acheter des tableaux de peintres français pour qu'ils restent chez nous. Et quand la cathédrale Notre-Dame a été incendiée en 2019, LVMH a promis une donation de 200 millions d'euros pour les travaux de réparation. Il faut dire que ce généreux mécénat est très bon pour l'image de LVMH. Oui, parce que le marché de l'art et le marché du luxe sont étroitement liés.

On y trouve les mêmes clients. Donc, si LVMH aide à financer une exposition dans un grand musée parisien, il y a de fortes chances que ses clients voient son logo quelque part. Mais c'est pas seulement une question d'image. Cette stratégie est aussi très avantageuse d'un point de vue fiscal. En France, il existe une loi pour le mécénat qui permet aux entreprises de réduire leurs impôts en achetant des œuvres d'art.

Une entreprise peut déduire 60% du prix d'une œuvre qu'elle a achetée de ses impôts. Et ça tombe bien parce que Bernard Arnault préfère largement acheter des œuvres d'art avec LVMH plutôt que de payer des impôts à l'État français. Quand François Pinault a ouvert sa fondation d'art contemporain à Venise, la réponse de Bernard Arnault ne s'est pas faite attendre. Il a annoncé la création de la fondation Louis Vuitton, une fondation dédiée à l'art contemporain, elle aussi. Et pour héberger cette fondation, il a demandé au célèbre architecte américain Frank Gehry de dessiner un lieu exceptionnel, un édifice de quasiment 12 000 dans le 16e arrondissement de Paris.

Après 8 ans de travaux, la Fondation Louis Vuitton a ouvert ses portes au public en 2014. Si vous y êtes jamais allé, je vous conseille de vous y rendre la prochaine fois que vous serez à Paris, pas forcément pour voir l'exposition à l'intérieur, mais au moins pour observer le bâtiment. Il est vraiment impressionnant. Ce qui est impressionnant aussi, c'est le coût de construction de cette fondation. 800 millions d'euros.

Mais grâce à la loi sur le mécénat, LVMH a obtenu 480 millions d'euros de réduction d'impôts, 70% des coûts de construction. Donc l'État français a financé 70% de la fondation Louis Vuitton. Et qui finance l'État français Les Français avec leurs impôts. Donc en réalité, ce sont les Français qui ont fait ce cadeau à Bernard Arnault. Mais bien sûr, c'est pas comme ça qu'il le présente.

Dans tous les cas, ça lui a permis de faire de l'ombre à François Pinault. Si vous faites de l'ombre à quelqu'un, ça veut dire que vous bloquez la lumière qui vient sur lui. Donc vous le gênez, vous lui volez une partie de sa célébrité. Avec sa fondation Louis Vuitton, Bernard Arnault a fait de l'ombre à son rival. Mais évidemment, leur guerre d'égo ne s'est pas arrêtée là.

Peu de temps après l'ouverture de la fondation Vuitton, François Pinault a annoncé qu'il allait exposer une autre partie de sa collection en plein cœur de Paris, dans un magnifique bâtiment du 19e siècle, qu'il a fait entièrement rénover, la Bourse du Commerce. La rénovation a coûté 108 millions d'euros, mais elle a été entièrement payée par François Pinault, il a déclaré qu'il ne voulait pas que ce soit les Français qui financent ses lubies. Ce qui est évidemment une pique contre Bernard Arnault et la preuve que leur rivalité est toujours bien présente. Maintenant que vous connaissez le parcours de Bernard Arnault et sa rivalité avec François Pinault, on va parler des critiques qui lui sont adressées. La première critique concerne la façon dont il a construit son empire.

On l'accuse d'être un prédateur qui n'hésite pas à licencier des milliers d'employés pour faire plaisir aux investisseurs. Je vous ai par exemple expliqué comment il a bénéficié de l'aide de l'État français pour reprendre le groupe Boussac sans respecter ses engagements pour garder les employés. Un autre exemple plus récent, En 2020, LVMH a eu de très bons résultats et le groupe a versé 3 milliards d'euros de dividendes à ses actionnaires, mais en même temps, il a licencié 13 000 salariés dans le monde. 13 000 employés du groupe ont perdu leur travail. Mais ça, ce sont des chiffres qui peuvent sembler abstraits.

Les français ont l'habitude d'entendre parler de licenciement. LVMH n'est pas la seule entreprise qui le fait. Ce qui les a vraiment mis en colère contre Bernard Arnault, c'est un documentaire sorti au cinéma en 2016 intitulé « Merci patron » Dans ce documentaire, on suit un couple qui travaillait dans une usine Kenzo une des marques du groupe LVMH et qui a tout perdu quand cette usine a été délocalisée en Pologne. Ils se sont retrouvés avec des dettes, 400 euros par mois pour vivre et la menace de perdre leur maison. Le réalisateur du documentaire, François Ruffin, a essayé de les aider à obtenir des dédommagements de l'argent en faisant pression sur LVMH et il en a profité pour montrer le peu de considération qu'ont Bernard Arnault et ses managers pour les ouvriers qui fabriquent leurs produits Ce documentaire a très bien marché en France.

Beaucoup de personnes sont allées le voir au cinéma et il a reçu le César du meilleur documentaire. Évidemment, ça n'a pas du tout plu à Bernard Arnault. Pendant plus de trois ans, LVMH a payé des détectives privées pour espionner le réalisateur du documentaire chez lui et au journal il travaille. Ça vous montre à quel point Bernard Arnault a peur pour son image. Et il a raison parce que c'est vraiment à cause de ce documentaire qu'il a commencé à avoir une mauvaise image dans l'opinion publique.

D'ailleurs, si ça vous intéresse, je mettrai le lien dans la description. Vous pouvez le regarder sur YouTube pour 3 ou 4 euros, il me semble. C'est un documentaire comique, un peu dans le style de Michael Moore, le réalisateur américain. En réponse à Merci patron, Bernard Arnault s'est défendu en disant que quand il est arrivé chez LVMH, il y avait 20 000 employés et qu'aujourd'hui, ils sont 120 000. C'était il y a quelques années.

Mais ce qu'il n'a pas dit, c'est qu'il n'a pas créé tous ces emplois ex nihilo, à partir de zéro. Il a en grande partie racheté des entreprises qui avaient déjà des salariés pour les intégrer à LVMH. Donc c'était des emplois qui existaient déjà. Et même quand LVMH crée des postes, comme l'année dernière, c'est pas par charité. C'est parce que le groupe en a besoin pour répondre à la demande, donc pour servir ses propres intérêts.

D'ailleurs, dès que sa rentabilité baisse, Bernard Arnault et ses cadres n'hésitent pas à licencier des milliers de salariés, comme ils l'ont fait en 2020, ou avec la délocalisation de l'usine Kenzo. Dans d'autres pays, on trouve ça normal, c'est comme ça que fonctionne le capitalisme, mais en France, on demande davantage de protection pour les salariés. Ensuite, il y a d'autres critiques qui concernent son manque de patriotisme. D'un côté, Bernard Arnault capitalise sur l'image de la France, cette image de luxe et de savoir-faire qu'il vend à travers ses marques, mais de l'autre, il semble tout faire pour payer le moins d'impôts possible chez nous. Parmi les grandes entreprises françaises, LVMH est celle qui a le plus de filiales dans les paradis fiscaux.

On estime qu'environ 27% des filiales de LVMH se situent dans des paradis fiscaux, autrement dit des pays les taxes sont très faibles. Comme je vous l'ai dit un peu plus tôt, Bernard Arnault aime dire que LVMH paie la majorité de ses impôts en France, alors que 90% de ses ventes se font à l'étranger. C'est un argument qu'on entend souvent parmi les grandes entreprises comme Apple ou Amazon. On paye beaucoup d'impôts. Le problème, c'est qu'elles donnent toujours le chiffre en valeur absolue.

Par exemple, on paye 5 milliards d'impôts. Alors oui, ça semble significatif, Mais c'est normal vu que ces entreprises gagnent énormément d'argent. Le vrai indicateur qu'il faudrait connaître, c'est la part de leur chiffre d'affaires que les impôts représentent. Est-ce que c'est 5%, 10%, 30% C'est ce chiffre qui permet de dire si une entreprise paie sa juste part d'impôts, pas le montant absolu. Mais cette critique ne concerne pas seulement les impôts payés par LVMH.

Elle concerne aussi les impôts que paie Bernard Arnault à titre personnel. Il affirme avoir toujours payé ses impôts en France et, aussi, qu'il en paye beaucoup. Mais en 2013, un scandale a éclaté quand on a appris qu'il avait fait une demande pour obtenir la nationalité belge. Il faut savoir qu'en Belgique, les impôts sont moins élevés qu'en France. Je vous passe les détails, mais Bernard Arnault avait une fausse adresse en Belgique et il avait commencé à y transférer son patrimoine.

Malheureusement pour lui, la Belgique a refusé sa demande de nationalité et l'affaire est sortie dans les médias. Bernard Arnault s'est justifié en disant qu'il le faisait pour protéger sa succession, pour que ses héritiers ne divisent pas LVMH après sa mort, mais il n'a pas réussi à convaincre grand monde. Et cette affaire a beaucoup terni son image. Quelques années plus tard, en 2018, un autre documentaire a été diffusé à la télévision, sur la chaîne France 3, dans lequel les journalistes expliquaient toutes les pratiques d'optimisation fiscale utilisées par Bernard Arnault. Par exemple, comment il s'est acheté le plus grand yacht du monde sans payer d'impôts.

D'ailleurs, si vous avez envie d'admirer le yacht de Bernard Arnault et son incroyable talent pour l'optimisation fiscale, je mettrai le lien du documentaire, il est disponible gratuitement sur YouTube. Enfin un dernier mot sur le bilan carbone de Bernard Arnault, lui aussi source de nombreuses critiques à cause de ses allers-retours incessants en jets privés, comme avec Elon Musk, un compte Twitter a été créé pour suivre son jet et calculer son bilan carbone, un compte qui s'appelle l'avion de Bernard. encore, je vous passe les détails, mais si tout le monde avait le même train de vie que Bernard Arnault il ne resterait pas grand chose de notre planète. Suite à cette dernière polémique Bernard Arnault a vendu son jet privé À la place, il utilise maintenant des jets de location qui lui permettent de voler en toute discrétion Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur Bernard Arnault mais j'ai essayé de vous résumer son parcours et les polémiques à son sujet en France. À présent, il prépare sa succession.

Il a 73 ans et, officiellement, il peut rester à la tête de LVMH jusqu'à 80 ans, mais il a déjà placé ses cinq enfants dans différentes entreprises du groupe pour les tester et voir lequel pourra le remplacer. C'est très amusant de suivre tout ça, ça me fait penser à la série Succession, si vous connaissez, une excellente série HBO. Incontestablement, Bernard Arnault a très bien compris les règles du capitalisme financier et il a réussi à en tirer profit. Aujourd'hui LVMH est le numéro 1 mondial du luxe, un groupe qui vaut plus de 400 milliards d'euros et c'est en grande partie grâce à lui. Même s'il ne le fait pas par charité, on ne peut pas nier que son groupe fait travailler des dizaines de milliers de personnes.

Bernard Arnault se plaint d'être critiqué en France, alors que, selon lui, dans les autres pays, les entrepreneurs milliardaires sont célébrés. Je sais pas si on juge les milliardaires plus sévèrement en France qu'ailleurs. J'imagine que Bernard Arnault n'a pas entendu parler de Mark Zuckerberg ou d'Elon Musk. Mais oui, c'est vrai que la gauche et une partie de l'opinion publique ne le portent pas dans leur cœur. Mais il a quand même énormément de partisans et d'admirateurs en France, que ce soit dans les médias de droite, parmi les Français qui rêvent de devenir aussi riches que lui, ou même les membres du gouvernement Macron qui sont toujours prêts à le défendre.

D'ailleurs, ils lui ont fait de beaux cadeaux ces dernières années en réduisant drastiquement les impôts sur les plus riches. Donc, on ne peut pas dire que Bernard Arnault soit si maltraité que ça. Moi, vous avez le comprendre, j'ai pas une opinion très favorable de lui, j'ai du mal à comprendre qu'avec une telle fortune, il cherche encore des moyens de payer moins d'impôts. À quoi ça peut lui servir À s'acheter un autre yacht ou une autre fondation pour continuer sa guéguerre avec Pinault, à laisser quelques millions d'euros en plus à ses enfants. Évidemment, c'est son choix, mais quand on fait ce choix, il faut être prêt à en assumer les conséquences.

Voilà, je m'arrête là. Comme d'habitude, n'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de cet épisode dans les commentaires J'ai hâte de vous lire Merci pour votre attention et à bientôt

Podcast: InnerFrench
Episode: E126 Comment Bernard Arnault est-il devenu l’homme le plus riche du monde ?