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Salut à toutes et à tous, j'espère que vous allez bien. Je suis ravi de vous retrouver pour un épisode en solo, D'autant plus qu'aujourd'hui, on va parler d'un sujet qui me tient à coeur. Ce sujet, vous l'avez entendu, c'est la musique. Et j'ai décidé de vous en parler parce que vendredi, le vingt-et-un juin, ce sera le premier jour de l'été, mais aussi le jour de la fête de la musique. C'est une fête qui est célébrée dans une centaine de pays.

Donc statistiquement, il y a de grandes chances que vous la fêtiez vous aussi. En France, on la célèbre depuis mille-neuf-cent-quatre-vingt-deux. C'est le ministre de la Culture de l'époque, Jack Lang qui a instauré cette fête de la musique. Et concrètement, à quoi ça ressemble bien, il y a des concerts un peu partout dans les bars, sur les places. Et pour les jeunes, c'est surtout l'occasion de picoler.

Alors, un premier mot de vocabulaire ici, le verbe picoler, ça signifie boire de l'alcool. C'est un verbe plutôt informel. C'est pas vulgaire, mais c'est informel. Moi, je me souviens quand j'étais au lycée, la fête de la musique, c'était l'occasion de retrouver mes amis, de errer dans les rues de ma ville Châteauroux et de picoler, de boire de l'alcool avec mes amis en assistant à des concerts qui n'étaient pas toujours de très grande qualité. Mais bon, en général, c'était une ambiance plutôt conviviale et j'en garde de super souvenirs.

Et pour moi, c'est ça la musique. Et la musique, c'est avant tout une expérience. En ça, bien, ça ressemble à la façon dont les gens écoutaient de la musique il y a de nombreux siècles. Bah oui, on peut se poser la question comment les gens faisaient pour écouter de la musique avant qu'on ne puisse l'enregistrer bien, ils assistaient à des carnavals, à des célébrations publiques dans lesquelles il y avait souvent des groupes de musiciens qui venaient jouer de la musique pour le divertissement général. Ils écoutaient aussi de la musique lors d'événements religieux, par exemple au moment des messes.

C'est vrai que la musique faisait partie intégrante des cérémonies religieuses. Et puis, pour les personnes plus aisées, les personnes qui avaient plus d'argent, bien, elles pouvaient aussi écouter de la musique en assistant à des concerts, en allant à l'opéra, en allant à différents types de spectacles dans lesquels il y avait des musiciens et des orchestres. Et d'ailleurs, pour une partie de ces familles aisées, que ce soit la noblesse et puis plus tard la bourgeoisie, l'apprentissage de la musique, c'était quelque chose d'important. On obligeait les enfants à apprendre à jouer d'un instrument. Ça faisait partie de ce qu'on considérait être une bonne éducation.

Et évidemment, c'est quelque chose qu'on a toujours aujourd'hui. Dans tous les cas, la musique n'était pas enregistrée, elle devait être jouée par quelqu'un pour qu'on puisse l'écouter. Mais dans les milieux plus populaires, il y avait aussi la musique folklorique et des chansons que toute la famille chantait, qu'on chantait ensemble lors d'événements publics. Et ces chansons étaient transmises de génération en génération par tradition orale. On les chantait, on les apprenait aux enfants qui les chantaient à leur tour et les apprenait à leurs enfants, et caetera.

C'est comme ça que les chansons étaient transmises, les mélodies et les paroles étaient mémorisées et répétées. Bref, avant qu'on puisse enregistrer la musique, bien c'était une expérience principalement sociale et interactive. Une expérience dans laquelle il y avait des performances en direct, mais aussi la pratique personnelle d'un instrument, du chant et l'utilisation aussi de partition autrement dit la musique écrite pour pouvoir diffuser et partager des compositions musicales. Heureusement pour l'introverti que je suis, au dix-neuvième siècle, on a trouvé le moyen d'enregistrer la musique pour pouvoir l'écouter tranquillement chez soi. Le vingt-quatre décembre mille-huit-cent-soixante-dix-sept, Thomas Edison a déposé le brevet de sa machine parlante.

Déposer un brevet, ça veut dire protéger une invention. Le brevet, c'est un document officiel qui décrit le fonctionnement d'une invention et qui permet d'en protéger l'auteur. Personne d'autre ne peut copier et utiliser cette invention. Donc en dix-huit-cent-soixante-dix-sept, en décembre, Thomas Edison a déposé le brevet de sa machine parlante qui s'appelait le phonographe. C'était une machine capable d'écrire des sons.

Phono, ça veut dire son et graff écrire l'écriture. Le phonographe permettait d'écrire des sons sur un support physique puis de les reproduire. Et Thomas Edison en a fait une démonstration en public dans laquelle il a lu une célèbre comptine Mary a the Little Lomb et juste après, il a rejoué, la machine a reproduit les paroles qu'il venait de prononcer. Et le public qui a assisté à cette démonstration a été médusé. Médusé, c'est une belle expression qui fait référence à la mythologie grecque, à une gorgone du nom de méduse qui était tellement laide qu'elle pétrifiait toutes les personnes qui la regardaient.

Donc quand quelqu'un est médusé, ça veut dire qu'il est pétrifié de surprises. Là, le public qui a entendu le phonographe d'Edison répéter ces mots après lui a été médusé. Oui, parce que nous, ça nous semble évident mais il faut se remettre dans le contexte de l'époque. Les gens venaient juste de s'habituer à la capture d'image sur un support physique, la photographie, Donc ça, c'était quelque chose d'absolument magique. Donc ça, c'était quelque chose d'absolument magique.

Mais vous savez que je suis un peu chauvin, donc je dois vous dire qu'avant Thomas Edison, deux Français avaient eu cette idée du phonographe. La même année, il y avait Charles Crow. Alors, Charles Crow, c'était ce qu'on appelle un touche à tout, un touche à tout, une personne qui aimait expérimenter et essayer plein de domaines différents. Il était poète, d'ailleurs c'était un ami de Verlaine et de Rimbaud. Il était aussi musicien, physicien, chimiste et inventeur.

Alors, au début de l'année mille-huit-cent-soixante-dix-sept, il a déposé une lettre à l'Académie des sciences à Paris. Et dans cette lettre, il y avait un document il décrivait le procédé d'enregistrement et de restitution de la voix. Autrement dit, le même principe que Thomas Edison a utilisé pour son phonographe. Malheureusement, Charles Cros n'avait pas les moyens de développer son invention. Donc, il a simplement déposé son document à l'Académie des sciences.

Ce n'était pas vraiment un brevet, mais c'était juste une preuve officielle qu'il avait trouvé cette invention et ça, c'était plusieurs mois parce qu'il l'a fait en avril, Donc c'était huit mois avant que Thomas Edison fasse sa démonstration publique. Mais ensuite, quand Charles Cros a appris que Thomas Edison avait présenté ce phonographe, bien, ça l'a mis en colère évidemment. Il a eu l'impression de s'être fait voler son invention. Et donc, il a voulu la faire breveter aux États-Unis, mais c'était trop tard. Il a perdu la bataille parce que Edison, avec sa démonstration publique, il avait fait un véritable coup marketing Et à présent, bien, c'était trop tard pour ce petit français, pour Charles Cros.

Et c'est le nom de Thomas Edison que la postérité a retenu. Alors, c'est difficile de savoir si vraiment Edison a eu vent de l'invention de Charles Crow, s'il avait entendu parler des recherches de Charles Croault. Mais il y a ce débat entre qui a été le premier inventeur de cette technologie. Après, c'est un débat qu'on retrouvait souvent à cette époque parce que la réalité, c'est que dans différents pays, il y avait de nombreux scientifiques, de nombreux chercheurs qui c'était à celui qui allait pouvoir déposer son c'était à celui qui allait pouvoir déposer son brevet, faire la présentation publique, et caetera pour revendiquer la paternité d'une invention. Bref, donc ce premier français, c'est Charles Crohn, mais je vous ai dit qu'il y en avait un deuxième.

Et lui, pour le coup, il a déposé son invention beaucoup plus tôt, vingt ans plus tôt, en 1857 Et ce français, c'est Edouard Léon Scott de Martinville. Alors oui, c'est un nom un peu long. Edouard Léon Scott de Martinville, Il a déposé un brevet en mille-huit-cent-cinquante-sept pour l'invention d'un phonautographe. Alors, c'était un peu différent le phonautographe, c'était un appareil qui était capable d'enregistrer visuellement les sons sur un papier spécial. Mais malheureusement, cet appareil ne pouvait pas restituer les sons.

L'objectif d'Édouard Léon Scott de Martin Bieb, c'était simplement d'enregistrer des sons sous un format visuel sur un papier spécial. Ne recherchez pas, comme l'a fait plus tard Edison, la reproduction sonore, mais simplement le tracé sur le papier de mots et de phrases. Et oui, parce que c'était quelqu'un qui était ouvrier en imprimerie, il travaillait dans une imprimerie. Donc pour lui, la graphie, c'était quelque chose de très important, la graphie, l'écriture, les caractères d'imprimerie. Mais comme il était ouvrier, il n'avait pas beaucoup d'argent.

Il s'est ruiné pour déposer un brevet, le brevet pour son phonotographe. Mais sept ans plus tard, il n'avait plus les moyens de renouveler son brevet, ce qui fait qu'il est tombé dans le domaine public. Et Edouard-Léon Scott de Martinville n'a pas réussi à développer son phonotographe pour en avoir une application commerciale. Donc voilà, il a été ruiné, il n'avait plus d'argent. Et à la fin de l'année mille-huit-cent-soixante-dix-sept, il a découvert comme tout le monde que Thomas Edison avait inventé ce phonographe.

Et en étudiant en détail l'invention d'Edison, il a vu qu'il avait repris une partie de ses découvertes et de ce qu'il y avait dans son brevet. Donc évidemment, il en a été très très triste, très affecté. Il a essayé d'attaquer Thomas Edison, de protéger son invention en allant voir notamment l'école polytechnique en France, mais il n'a pas réussi à obtenir gain de cause. Et après quelques années, il s'est résigné, il a abandonné dans une lettre qu'il a écrite, il a demandé à ne pas tomber dans l'oubli. Il voulait simplement que son nom reste associé à cette invention du phonographe.

Mais malheureusement, l'histoire ne l'a pas retenue. Il est tombé dans l'oubli. Donc c'est une histoire qui est assez triste ou plutôt qui était assez triste parce qu'il y a quelques années, en deux mille huit, une équipe de scientifiques américains d'un laboratoire de Berkeley a retrouvé les enregistrements de Scott de Martinville sur les feuilles spéciales, sur le papier spécial. Et grâce aux nouvelles technologies, ils ont réussi à les numériser et à les transformer pour qu'on puisse écouter ces sons que Scott de Martinville avait enregistrés. Je vous laisse écouter cet extrait.

Donc là, ce que vous avez entendu, cet enregistrement de très mauvaise qualité, bien, c'est l'enregistrement le plus ancien qu'on ait d'une voix humaine. C'est un enregistrement qui date de dix-huit-cent-soixante et la voix qu'on entend dessus, c'est celle d'Édouard Léon Scott de Martinville qui chante une petite comptine, une chanson pour enfants que vous avez peut-être reconnue. Une comptine qui s'intitule Au clair de la lune. Au clair de la lune, mon ami Pierrot. Donc moi non plus, comme Scott de Martinville, je ne chante pas très bien.

Voilà, c'est quelque chose d'assez spécial qu'on ait cet enregistrement. Et finalement, Scott de Martinville va rester dans la postérité. Alors évidemment, la qualité des premiers enregistrements de phonographes n'est pas très bonne mais elle s'améliore au fil des décennies et la technologie se développe notamment avec l'arrivée du gramophone qui fonctionne un peu différemment du phonographe parce que le phonographe utilisait des cylindres qui prenaient beaucoup de place, qui étaient encombrants alors que les gramophones utilisent des disques plats. Donc ça devient un peu plus pratique. Et au début du vingtième siècle, les phonographes et les gramophones arrivent dans la plupart des foyers, des maisons aux États-Unis.

Ah oui, il faut savoir aussi que pour les faire fonctionner, il fallait utiliser une manivelle, il fallait tourner une manivelle parce que les premiers phonographes n'utilisaient pas l'électricité donc ils étaient manuels. Il fallait tourner une manivelle pour pouvoir écouter le disque. Mais à partir des années vingt, il y a une nouvelle technologie qui vient concurrencer les gramophones, c'est la radio. La radio, elle a beaucoup d'avantages parce qu'elle permet d'écouter de la musique en continu, gratuitement et qui ne se dégradent pas parce que sur les premiers phonographes et gramophones à chaque fois qu'on écoutait un morceau, bien il se dégradait un peu et plus on l'écoutait, moins la qualité était bonne. Déjà que la qualité d'origine n'était pas forcément exceptionnelle, ça avait quand même pas mal d'inconvénients.

Alors qu'à la radio, on diffusait des concerts en direct, des concerts d'orchestre, de musiciens. Donc la qualité était plutôt bonne. En tout cas, elle était meilleure que celle des gramophones et des phonographes de l'époque. Mais finalement, on s'est rendu compte que ces deux technologies étaient plutôt complémentaires, la radio pour pouvoir écouter de la musique et aussi évidemment des informations toute la journée et le gramophone pour écouter un morceau ou une musique qu'on appréciait particulièrement au moment on le voulait. C'est pour ça qu'ils ont commencé à être vendus ensemble dans un meuble.

Donc, il y avait un meuble dans lequel il y avait à la fois une radio et un gramophone. Évidemment, c'était assez cher, c'était un équipement qui n'était pas forcément abordable pour toutes les familles. Donc en général, il y en avait un seul dans la maison qu'on plaçait dans le salon et toute la famille écoutait de la musique ensemble. Donc ça restait une expérience sociale. Malheureusement, avec la grande dépression, la crise des années trente, cette jeune industrie de la musique enregistrée, bien, elle se retrouve stoppée.

De nombreux labels de musique font faillite parce que les gens n'ont plus les moyens d'acheter des disques, pas quelque chose qui fait partie de leurs priorités. Et donc cette industrie de la musique enregistrée se retrouve en grande difficulté. Il faut attendre après la Seconde Guerre mondiale avec l'essor du vinyle pour que la musique enregistrée m'écoute à la maison devienne vraiment un bien de consommation de masse quelque chose qu'on trouve dans la plupart des foyers occidentaux. Après ça, c'est surtout l'évolution technologique qui a permis de continuer de développer cette industrie avec une priorité stocker un maximum de musique sur le support physique le plus petit possible et tout en gardant si possible une bonne qualité. On a eu les cassettes à bandes magnétiques qui sont une invention allemande.

Et puis, dans les années quatre-vingt, le CD, le compact disque et un peu plus tard, dans les années quatre-vingt-dix, le mini disque inventé par Sony. Alors ça, je ne sais pas si vous le connaissez. Moi, je me souviens très bien d'avoir eu un lecteur mini disque. Donc, comme son nom l'indique, c'était un petit disque sur lequel on pouvait stocker l'équivalent, il me semble, de quatre albums si ma mémoire est bonne. Donc c'était entre la cassette et le CD.

C'était très joli, c'était un petit disque enfermé dans un boîtier en plastique, un peu comme une disquette d'ordinateur et ça permettait de stocker quatre albums, ce qui, à cette époque, était génial. Moi, je me souviens très bien de mon lecteur mini disque, j'adorais ça. Mais plus tard, ce qui a vraiment bouleversé l'industrie, c'est l'arrivée du MP3. À ce moment-là, la musique n'avait même plus besoin de support physique. On pouvait tout télécharger en général de manière illégale et de manière assez rapide.

Alors oui, moi aussi, je l'ai fait. J'ai téléchargé des morceaux de musique illégalement quand j'étais adolescent, je n'en suis pas fier. Mais j'avais mon lecteur mp trois et je me souviens que je pouvais mettre deux-cent-cinquante titres dessus ou quelque chose comme ça. Ça me semblait vraiment exceptionnel. Je pensais pouvoir écouter de la musique pour toute ma vie avec ces deux-cent-cinquante titres et surtout, on pouvait les effacer, les changer et recommencer autant de fois qu'on voulait sans que la qualité audio ne se dégrade.

Bref, la musique enregistrée s'est dématérialisée. Et en plus, elle est devenue une expérience de plus en plus individuelle. Parce qu'en parallèle de ces évolutions technologiques sur le format, on a aussi développé des appareils pour pouvoir écouter sa musique de manière individuelle. Il y a eu évidemment le célèbre walkman. Et puis, comme les équipements devenaient de moins en moins chers, on a pu acheter une petite chaîne hifi pour que les ados écoutent leur musique dans leur chambre.

Et aujourd'hui, on a ces écouteurs sans fil qui permettent de bloquer le son extérieur, de s'isoler totalement pour écouter sa musique dans n'importe quel environnement. Grâce à toutes ces évolutions technologiques, la musique est devenue ce qu'on pourrait appeler un bien de consommation de masse. La première à en avoir parlé peut-être, c'est Anna Arendt, une philosophe allemande qui a été réfugiée puis naturalisée aux États-Unis. Elle en parle dans un recueil d'essais, un livre dans lequel il y a huit essais qu'elle a écrits qui s'intitule La crise de la culture. Elle l'a publié en mille-neuf-cent-soixante-et-un.

Et dans ce livre, elle analyse les effets de la rupture entre le monde moderne, le monde dans lequel nous vivons et la tradition. Pour elle, la société moderne est synonyme de société de consommation de masse. Alors, il y a un bon côté à ça. Bon côté, c'est que le temps du loisir n'est plus réservé à une élite. À présent, il y a une vaste classe moyenne qui a le temps d'avoir des loisirs, qui ne doit plus dédier toute son existence au travail pour survivre, mais qui peut avoir du temps libre.

Le problème, c'est que selon Anna Arendt, celui qu'elle appelle l'homme masse, donc l'homme de cette société de consommation de masse, il a tendance à traiter les œuvres culturelles comme de simples objets de consommation. Pour l'homme-masse, la seule fonction des œuvres culturelles, c'est de le divertir, c'est d'occuper son temps libre alors que pour Anna Arendt, les oeuvres culturelles sont pour nous aider à avoir des émotions profondes, des réflexions profondes et pas simplement pour nous divertir. Et là, je cite un extrait de son essai Cela ne veut pas dire que la culture se répande dans les masses, mais que la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir. Cela ne veut pas dire que la culture se répande dans les masses, mais que la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir. Autrement dit, l'homme-masse consomme des œuvres culturelles, puis il les jette et il est sans cesse à la recherche de nouveautés, de nouvelles œuvres pour se divertir, comme n'importe quel objet de consommation Ça, on peut le voir aussi avec l'avènement des festivals Pendant un festival, on vient voir des dizaines de groupes d'artistes et ça, seulement en l'espace de deux ou trois jours.

Donc on a une espèce de consommation de masse de musique au lieu de prendre le temps d'apprécier l'oeuvre d'un seul artiste à la fois. Et le problème selon Anna Arendt, c'est que ce qui définit une oeuvre culturelle, c'est sa longévité. Une œuvre est culturelle quand elle peut survivre aux générations, quand elle peut traverser les époques. Par exemple, la musique classique, la musique classique a traversé les siècles. Alors que les hits d'aujourd'hui, ils ont une durée de vie qui est de quelques mois, voire parfois de quelques semaines.

Puis ensuite, on les jette et ils sont remplacés par un nouveau hit. Et c'est vrai, on peut se demander est-ce qu'on écoutera encore Taylor Swift dans un siècle Alors moi, je ne sais pas si je suis complètement d'accord avec Anna Arendt. Je trouve que c'est peut-être une vision un peu élitiste qui sacralise les œuvres d'art, l'art avec un a majuscule sans vouloir tomber dans le relativisme. Personnellement, j'ai du mal à définir pourquoi un morceau de Chopin a une plus grande valeur artistique qu'un morceau de Taylor Swift. Si on prend le critère, par exemple, de la capacité à émouvoir, je pense qu'aujourd'hui, il y a beaucoup plus de gens qui sont touchés par la musique de Taylor Swift que par celle de Chopin même si pour moi, personnellement, c'est l'inverse.

Mais si on laisse cette question de côté, il y a un autre argument dans sa théorie qui me semble particulièrement important. C'est celui qui concerne la diffusion de ses oeuvres culturelles. Selon Anna Arendt, le problème ce n'est pas la diffusion de masse, le fait que les œuvres culturelles soient accessibles à un très grand nombre de personnes. Non, le problème c'est que cette diffusion de masse, elle s'accompagne d'une dépréciation de l'œuvre. Autrement dit, les artistes, les créateurs changent leurs oeuvres, ils essayent de les adapter, de les réécrire, de les condenser, de les pour qu'ils soient faciles à consommer.

Ils font des compromis qui, selon Anna Arendt, ne respectent pas l'intégrité artistique. Autrement dit, les œuvres d'art ne sont plus des créations uniques mais des produits standardisés. Et moi, je suis coupable d'avoir participé à ça parce que, comme je vous l'ai peut-être déjà dit, j'ai fait un label de musique célèbre qui s'appelle IMI ou plutôt qui s'appelait parce qu'il n'existe plus, il a été racheté. Et pendant ce stage, je faisais partie de l'équipe Consumer Insights. Donc autrement dit, on analysait les habitudes de d'écoute du public, donc de personnes qui appréciaient l'artiste pour décider quel serait le premier single de l'album, comment faire la promotion de cet artiste en fonction des gens qui l'écoutent, et caetera.

Et je peux pas dire que les informations qu'on avait influençaient la création musicale mais en tout cas, on s'en servait pour la stratégie marketing pour faire la promotion de l'artiste. Bref, c'est seulement une anecdote mais ça montre bien la marchandisation des œuvres culturelles. Le fait qu'avec la société de consommation, les œuvres culturelles dont la musique sont devenues des biens de consommation comme les autres. Et depuis une quinzaine d'années, on peut même dire qu'ils sont devenus des services. Avec l'essor d'internet et du numérique, la musique est devenue de plus en plus accessible en ligne.

D'abord via les téléchargements payants ou pas, puis les services de streaming. La musique est devenue une commodité facilement accessible, souvent gratuite, ce qui a entraîné une dématérialisation des œuvres musicales. Moi, j'ai pris un abonnement Spotify en deux-mille-onze, j'ai retrouvé le reçu. Donc ça fait quasiment, oui, ça fait treize ans que je suis abonné à Spotify et ça a complètement changé ma façon d'écouter de la musique. Je ne vais pas du tout faire la pub de Spotify, rassurez-vous.

Et pour ceux et celles d'entre vous qui n'auraient pas d'abonnement à une plateforme de streaming, je vais vous expliquer rapidement comment ça fonctionne. En fait, on souscrit un abonnement qui coûte en général une dizaine d'euros ou de dollars par mois, qui nous donne accès à un catalogue de musique quasiment infini. On a accès à la musique du monde entier et de toutes les époques. Tout ça sur son smartphone, dans sa poche. Donc on peut se faire des playlists pour ajouter des milliers et des milliers de titres qu'on peut écouter quand on veut.

Avant les plateformes de streaming, je passais des heures à chercher des artistes. Alors quand j'étais plus jeune, c'était en allant dans les magasins de disques ou supermarchés. Et puis plus tard, évidemment, j'ai utilisé internet. Donc j'allais sur différents blogs, des blogs obscurs, mystérieux pour chercher des petits artistes indépendants que personne ne connaissait et pour impressionner mes amis. Mais depuis que j'ai mon abonnement Spotify, j'ai complètement arrêté de faire ça Tout simplement parce que chaque semaine Spotify me propose une playlist sur mesure avec trente morceaux sélectionnés par leur algorithme qui correspond parfaitement à mes goûts musicaux.

Donc Spotify est rapidement devenu ma seule source de musique. C'est vrai, vu que chaque semaine, j'ai une playlist de trente nouveautés à écouter, pourquoi est-ce que je m'embêterais à chercher moi-même des artistes ou pire à réécouter des vieux morceaux Alors en analysant un peu mes habitudes, je me suis rendu compte que j'avais une attitude passive. En fait, je ne fais qu'écouter ce que l'algorithme a choisi pour moi. Et j'ai une quantité telle de morceaux, j'ai accès à tellement de morceaux que je n'arrive même plus à retenir le nom des artistes ou des titres que j'écoute. D'ailleurs, j'ai plus l'impression de consommer que d'écouter de la musique.

Je consomme de la musique puis je la jette. Et oui, parce qu'il n'y a plus du tout d'attachement émotionnel. Ce ne sont pas des artistes que j'ai découverts moi-même ou qu'un ami m'a recommandé ou des artistes que j'ai découverts en cherchant pendant des heures sur internet. Non, ce sont des artistes qui m'ont été proposés par l'algorithme Spotify et que j'ai consommé de manière passive. D'ailleurs, sur Spotify et sur les plateformes de streaming en général, il y a des playlists qui sont extrêmement populaires et qui sont faites uniquement pour accompagner une activité, un peu comme un fond sonore ou comme la bande son dans un film.

Il y a une musique pour, une playlist pardon, pour faire du sport, une autre pour étudier, une autre pour boire son café le matin. Et d'ailleurs, c'est la même chose avec d'autres plateformes de streaming, par exemple pour regarder des séries ou des films. En fait, c'est pas spécialement parce qu'on a envie de regarder tel film de tel réalisateur, mais juste parce qu'on veut avoir quelque chose pour passer le temps, pour se divertir, pour avoir de la compagnie quand on mange, et caetera. Et ça, c'est inscrit dans le modèle économique même de ces plateformes réalisateur qu'on adorait, mais on paye un abonnement pour avoir une quantité illimitée de divertissement chaque mois. Et comme Anna Arendt l'avait prévu il y a déjà soixante ans, cette façon de consommer des œuvres culturelles, cette marchandisation des œuvres culturelles, elle a un impact direct sur la manière dont elles sont créées.

On a l'impression que la musique d'aujourd'hui semble plus produite pour répondre à des tendances commerciales que pour exprimer une vision artistique profonde. Par exemple, je ne sais pas si vous avez vu, mais récemment, Beyoncé a sorti un nouvel album qui s'inspire de la musique country. Et c'est assez visible qu'elle le fait pour pouvoir toucher un nouveau public. Je ne suis pas sûr qu'à la base, Beyoncé était une fan de musique country, mais peut-être que je me trompe, je ne sais pas. Corrigez-moi dans les commentaires s'il y a des fans de Beyoncé parmi vous.

Mais en plus de ses effets sur la création des œuvres elles-mêmes, il y a aussi les réseaux sociaux qui jouent un rôle crucial dans la promotion et la consommation de la musique d'aujourd'hui. Les artistes sont souvent jugés par leur présence en ligne, le nombre d'abonnés, de fans qu'ils sont et leur capacité à générer du buzz plutôt que par la qualité intrinsèque de leur musique. Donc tout ça, ça renforce la marchandisation de la musique l'image et le marketing prennent le pas sur la substance artistique autrement dit l'image et le marketing deviennent plus importants que l'oeuvre artistique en elle-même. D'ailleurs, maintenant, on parle souvent de créateurs de contenu au lieu de parler d'artistes. Bref, les plateformes de streaming ont totalement dématérialisé la musique si bien qu'aujourd'hui, elle n'est même plus un produit de consommation de masse mais un service, un service dont la valeur est davantage utilitaire qu'esthétique.

Mais les plateformes de streaming ont une autre conséquence qui, à mon avis, est encore plus négative. Dans l'épisode soixante-cinq, ça remonte à quelques années, je vous avais parlé de nos goûts. On s'était demandé comment on acquiert nos goûts D'où viennent nos goûts Nos goûts musicaux, nos goûts littéraires, nos goûts artistiques, nos goûts sportifs, et caetera. Et pour ça, je vous avais parlé d'un sociologue français très célèbre, Pierre Bourdieu. Selon la théorie de Bourdieu, nos goûts ne nous appartiennent que partiellement.

En réalité, la plupart d'entre eux sont transmis par notre famille, par l'école et par le groupe social auquel on appartient. Mais surtout, et c'est ça qui est intéressant dans la théorie de Bourdieu, il existe une hiérarchie des goûts et des pratiques culturelles. Dans cette hiérarchie, les pratiques culturelles de la classe dominante sont considérées comme les plus nobles, les plus légitimes. C'est pour ça que la musique classique est considérée comme plus noble que la pop ou le rap. Le golf est plus légitime que le foot, les échecs que les jeux vidéo, et caetera.

Vous avez compris l'idée. Sur les plateformes de streaming musical, on a accès en théorie à tous les genres de musique, on a tous les genres de musique à portée de main. Donc ça devrait être un super outil pour découvrir des artistes que personne n'écoute dans notre milieu social et pour pouvoir s'émanciper pour pouvoir sortir de notre groupe social. Sauf que les algorithmes de ces plateformes font tout le contraire. Ils nous servent uniquement des choses que l'on apprécie déjà.

Par exemple, moi, avant d'avoir Spotify, j'écoutais plusieurs genres de musiques différents. Mais sur Spotify, j'écoutais principalement du hip hop et maintenant, chaque semaine Spotify me recommande exclusivement des morceaux de hip hop, ce qui fait que j'ai progressivement arrêté d'écouter les autres genres de musique que j'appréciais. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, ces algorithmes de recommandations culturelles, ils sont omniprésents. On les retrouve aussi bien sur les plateformes de musical que pour les films, les livres, et caetera. Et de la même manière que l'algorithme Facebook nous enferme dans une bulle de pensées ou une bulle d'opinions, les algorithmes de plateformes de streaming nous enferment dans des espèces de bulles culturelles ou des bulles de divertissement.

Et ça, c'est d'autant plus vicieux que les algorithmes influencent aussi la création artistique Voyez, on en revient toujours aux mêmes angles. D'un côté, la consommation et de l'autre, la création. Oui, parce qu'aujourd'hui, des plateformes comme Netflix distribuent les oeuvres culturelles mais elles en produisent aussi une grande partie. Et Netflix a accès à une quantité énorme de données en ce qui concerne la façon dont les gens regardent des films ou des séries. C'est facile pour Netflix de savoir exactement à quel moment d'un épisode les gens ont arrêté de regarder et on peut imaginer que ça influence ensuite le processus d'écriture pour les autres films ou les autres séries que Netflix produit C'est quelque chose qui existait déjà avant les plateformes de streaming évidemment il y avait des groupes, on faisait des groupes tests de spectateurs pour leur demander ce qu'ils aimaient ou pas dans le film, et caetera.

Mais maintenant, on est arrivé à un degré de précision, de granularité des données qui est exceptionnel. Et ce qui est encore plus fou, c'est que de l'autre côté, il y a un autre algorithme, celui de l'intelligence artificielle, qui va pouvoir ou qui a déjà commencé à écrire le scénario. Donc on a à la fois l'algorithme qui analyse la réception du public, comment le public consomme une œuvre et qui va pouvoir transférer ces données à l'intelligence artificielle pour qu'elle puisse écrire des scénarios parfaits, des scénarios sur mesure qui vont plaire au public. Mais vous le savez aussi bien que moi si vous avez déjà essayé de lire un article ou un livre écrit par l'intelligence artificielle, en général, ce n'est pas passionnant. C'est un peu trop lisse, on sent qu'il manque quelque chose.

Et moi, il s'est passé un peu la même chose avec Spotify. À cause de ces playlists trop parfaites, j'ai commencé à me lasser. Se lasser de quelque chose, ça veut dire s'ennuyer, ne plus avoir envie de faire quelque chose. Donc moi, à cause de Spotify, j'ai commencé à me lasser de la musique. C'est triste, mais avant je pouvais écouter de la musique pendant des heures et maintenant, quand j'écoute une playlist Spotify, au bout de dix, quinze minutes, j'en ai marre et j'arrête d'écouter.

Quand je m'écoute parfois, j'ai de plus en plus l'impression d'être un boomer. Alors je ne fais pas officiellement partie de la génération des boomers, Mais parfois, j'ai un peu l'impression d'avoir ce discours anti-technologie comme dans l'épisode que j'avais fait sur les montres connectées. J'ai tendance à dire de plus en plus souvent que c'était mieux avant, bref un vrai boomer. Et donc peut-être que le problème, ce n'est pas les plateformes de streaming mais tout simplement mon âge. Et d'ailleurs, je m'en suis rendu compte en réécoutant les playlists que j'ai créées moi-même ces dernières années à partir des recommandations Spotify parce parfois, je prends des morceaux qui sont recommandés par Spotify et je les ajoute dans une playlist que je crée chaque année.

Comme ça, je peux réécouter les morceaux que j'écoutais en deux-mille-vingt-et-un pendant le covid. Et quand je réécoute ces playlists des dernières années, je me rends compte qu'il y a plein de morceaux que j'apprécie pas plus que ça. Je me demande pourquoi je les ai sauvegardés dans une playlist alors qu'au contraire, quand il m'arrive par hasard de tomber sur un morceau que j'écoutais avant l'époque Spotify, quand j'étais étudiant ou adolescent, bien là, j'étais frisson. C'est vraiment des morceaux qui provoquent des émotions en moi. Et en fait, il y a plusieurs études qui montrent qu'après un certain âge, on a du mal à apprécier de nouvelles musiques.

En fait, nos goûts musicaux se forment principalement pendant l'adolescence. Et après ça, on a beaucoup de mal à pouvoir apprécier un nouveau genre. Bon évidemment, ça dépend des personnes. Je suis sûr que vous connaissez des gens qui ont commencé à apprécier un tout nouveau genre à l'âge de cinquante ans. Mais la règle générale, c'est que nos goûts musicaux se forment principalement pendant notre adolescence.

Mais il est hors de question pour moi d'accepter cette explication. Je pense que je suis resté jeune dans ma tête, je suis capable d'apprécier plein de styles de musiques différents. Donc je vais plutôt vous proposer une autre théorie. Je trouve que ce qui est beau avec la musique, c'est l'expérience qu'elle nous fait vivre. Par exemple, quand on est à un concert, on peut communier avec toute une foule, chanter avec des centaines, des milliers de personnes en même temps.

Quand on écoute de la musique à une fête, on peut danser avec des amis. On peut aussi tout simplement écouter de la musique pour rendre une expérience plus intense. Par exemple, moi, j'adore écouter de la musique en regardant le paysage quand je suis dans le train. Mais avec les plateformes de streaming, c'est de plus en plus difficile d'apprécier ces moments parce qu'en fait, ces plateformes nous encouragent à consommer, consommer des nouveautés puis les jeter, les oublier. Donc on n'a peut-être pas assez de temps pour pouvoir découvrir soi-même, pour pouvoir être surpris, pour apprécier quelque chose, réécouter, digérer, et caetera.

Alors je ne vais pas cracher dans la soupe, ça c'est une expression française, cracher dans la soupe, ça veut dire ne pas être reconnaissant pour quelque chose qui nous a apporté des bénéfices Donc moi, je ne veux pas cracher dans la soupe. C'est vrai que les plateformes de streaming de musique sont super pratiques et elles ont énormément démocratisé l'accès à la musique. Elles ont aussi permis à de nombreux artistes de publier leur musique, ce qu'ils n'avaient pas forcément les moyens de faire avant. On peut dire aussi que ces plateformes encouragent la fréquentation de concerts et de festivals Il y a de plus en plus de personnes qui vont à des concerts et des festivals parfois parce qu'elles ont découvert un artiste sur une plateforme de streaming. Et puis ce podcast que le podcast que vous écoutez actuellement, peut-être qu'il n'existerait pas s'il n'y avait pas les plateformes de streaming.

Par exemple, je sais que quarante pour cent d'entre vous nous écoutent sur Spotify. Mais voilà, j'avais simplement envie de partager avec vous cette réflexion que m'a inspirée la fête de la musique. C'est vrai que toutes ces nouvelles technologies sont très pratiques, mais elles sont aussi addictives et elles ont tendance à s'imposer dans nos vies sans qu'on ait le temps d'en questionner les effets. On n'a pas encore le recul suffisant pour en évaluer les conséquences, mais ça vaut le coup à mon avis de questionner nos usages pour ne pas laisser la technologie gâcher un des plus grands plaisirs humains. Et justement, pour réhumaniser un peu notre consommation de musique, je vais vous inviter à faire deux choses.

La première, c'est d'aller à un concert pendant la fête de la musique en espérant qu'elle soit célébrée vous vivez. Et la deuxième, c'est d'aller sur la page de cet épisode et de partager dans les commentaires un ou une artiste que vous adorez. Comme ça, peut-être qu'on pourra faire une playlist des auditeurs InnerFrench, je ne sais pas. Pas nécessairement un artiste qui chante en français, même si ça serait peut-être mieux compte tenu du podcast, mais voilà. Allez sur la page de l'épisode, partagez votre meilleure recommandation musicale et peut-être qu'on créera une playlist avec tout ça.

Mais dans tous les cas, moi je suis curieux de voir ce que vous écoutez. Merci à toutes et à tous, je vous souhaite une bonne fête de la musique et à très bientôt.

Podcast: InnerFrench
Episode: E147 Peut-on encore écouter de la musique ?