Les grands magasins, la tour Eiffel, les Champs-Élysées, Paris, c'était le paradis. La Réunion est française, mais ce n'est pas la France classique. Le climat n'est pas le même, la musique n'est pas la même, la cuisine n'est pas la même. C'est très impressionnant. La lave du volcan a brûlé la terre.
Alors le paysage ressemble à la surface de la lune. C'est drôle de vivre en France, mais d'être aussi différent du reste de la France et on est vraiment très loin. La Réunion est à dix heures d'avion de Paris. Alors on est un peu isolé. À la Réunion, on a besoin d'une voiture pour se déplacer.
C'est toujours la même chose. Il faut une voiture pour trouver un travail et il faut un travail pour pouvoir acheter une voiture. Au début, notre maison avait seulement trois pièces, deux chambres et un salon. Mais le salon était aussi la salle à manger et la salle de bain. C'était petit, mais c'était chez nous.
Par la fenêtre, j'aimais regarder les champs de canne à sucre et l'océan. L'eau du robinet était froide. Alors on devait la chauffer pour se laver. On avait un frigo, mais il n'y avait pas de yaourt ou de produits frais dedans. À la place, il y avait des bougies, des allumettes pour allumer les bougies, des crayons et des boîtes de conserve.
Nous aimons jouer dans les arbres. L'avocat devenait un château, un parcours d'obstacles, un bateau de pirates. Quand j'étais en haut de l'arbre, je me sentais exploratrice, aventurière. Je regardais l'océan, je voulais aller voir de l'autre côté, je voulais découvrir le monde. Mon frère et moi, nous avons couru jusqu'à la maison.
C'était incroyable. Plus besoin de bougies, plus besoin de chauffer l'eau pour le bain et finalement, on allait avoir la télé. Mais pendant longtemps, on a continué à ouvrir le frigo quand on voulait un crayon ou un stylo. À l'école, quand on devait chercher des informations pour un devoir, tout le monde regardait sur Wikipédia. Tout le monde trouvait des images sur internet.
Moi, je n'avais pas d'ordinateur. Alors j'utilisais de vieilles encyclopédies et j'écrivais sur mon cahier. Les premiers habitants sont arrivés sur l'île au dix-septième siècle. Les Français pensaient que les rebelles allaient mourir de faim ou dans une tempête. Mais en mille-six-cent-quarante-neuf, les français sont revenus et ils ont découvert que les rebelles étaient en vie et en pleine forme.
Quel choc. J'ai visité une ancienne maison coloniale avec ma classe au lycée. Des esclaves avaient vécu là-bas. J'ai vu les chaînes et les noms des esclaves. J'ai pensé aux gens qui avaient vécu ça.
C'était horrible. C'est une histoire coloniale difficile, mais qui explique la diversité de l'île et sa richesse culturelle. Aujourd'hui, à la Réunion, on fête le quatorze juillet la fête nationale française, mais on fête aussi le nouvel an chinois, le festival indien des lumières, le ramadan et la fête CAF, le jour de l'abolition de l'esclavage. Il y a des églises, des mosquées, des temples hindous. Je rêvais de prendre des cours de chant et de danse.
Je demandais à ma maman, mais elle disait non, ce n'est pas possible. Je n'avais pas le droit d'aller au cinéma, pas le droit d'aller à des concerts. C'était très difficile parce que je voulais avoir accès à la culture. Pour moi, partir voulait dire découvrir le monde et apprendre tout ce que je ne savais pas, mais c'était aussi un besoin. Je voulais me donner une chance de réussir.
Ma mère n'était pas très riche elle ne pouvait pas payer mes études en métropole. Heureusement, j'allais recevoir une bourse d'environ cinq-cents euros par mois. Grâce à ces aides financières, je pourrais payer mon loyer et acheter à manger. J'ai aussi reçu de l'argent pour acheter un billet d'avion. J'avais peur.
J'allais vivre à dix mille kilomètres de mon frère, ma mère et ma grand-mère. J'avais peur que les gens me trouvent idiotes. Mais j'étais aussi excité. J'allais enfin découvrir la vie de l'autre côté de l'océan. Pour moi, c'était comme un autre monde.
Sur l'île, les montagnes sont vertes et on ne voit pas beaucoup la roche. Ici, à Grenoble, les montagnes sont blanches et rocheuses. Je n'avais jamais vu de neige avant. Je suis allée voir le sacre du printemps à l'opéra. J'avais étudié le ballet de Stravinsky au lycée en cours de musique, mais là, je le voyais et je l'entendais en vrai, c'était incroyable.
C'était comme si j'étais passé de l'autre côté du miroir. Par exemple, en français, quand je me présente, je dis bonjour, je m'appelle Elodie et j'habite à l'île de la Réunion. Mais en créole, je dirais bonjour, m'y appelle Elodie et m'y habite sur l'île de la Réunion. Est-ce que baguette est un mot français J'ai dit, je voudrais une baguette s'il vous plaît et le boulanger a compris. C'était idiot tout ça.
Baguette, c'est vraiment le mot le plus français. Il ne connaissait pas l'histoire de la réunion. Il ne connaissait pas vraiment le passé colonial de la France, l'esclavage. Il n'avait pas appris ça en détail à l'école. Des amis qui étaient restés à la Réunion ne trouvaient pas de travail.
Ils allaient partir en métropole pour tenter leur chance. Alors moi, j'avais peur de rentrer à la Réunion. Je ne savais pas ce que je pouvais faire sur l'île et j'avais peur d'être encore isolé, loin de tout. J'avais préparé des présentations avec des photos de la plage, de l'océan, des montagnes, des champs de canne à sucre, du volcan et des animaux. Pour moi, Noël c'est la saison des fruits, leetchi, mangue, ananas.
Traditionnellement, les réunionnais fêtent le nouvel an en faisant un barbecue sur la plage. C'est un spectacle fantastique. On voit les baleines sauter et souffler c'est magique mais le plus beau c'est quand la mère porte son bébé au-dessus de l'eau pour l'aider à respirer. Pour eux, la réunion, c'était vraiment le paradis. Une île avec du soleil où il fait chaud, il ne comprenait pas pourquoi j'étais ici en Angleterre.
Pourquoi est-ce que j'étais parti du paradis. Je me souviens, un matin, il neigeait. J'ai téléphoné à ma mère, elle était avec mon frère à la piscine. Elle me racontait qu'ils avaient passé Noël tous les deux. Je l'écoutais et j'étais triste.
Ici, il faisait froid et depuis un mois, je n'avais pas parlé créole. Je me demandais si finalement la réunion n'était pas le paradis. J'écoutais Daniel Waro, un chanteur de la réunion. Je chantais fort en faisant le ménage. Je dansais sur le rythme rapide des instruments à percussion.
C'était comme avoir un peu de la réunion avec moi. J'étais fier de mon île et je voulais découvrir son histoire et en parler à tout le monde. Et quand j'ai obtenu mon diplôme en deux-mille-dix-huit, j'ai décidé de retourner à la Réunion. J'avais tellement de choses à apprendre sur ce paradis.