00:00
00:00
Épisode quatre-vingt-quatorze, faut-il célébrer Napoléon Salut à toutes et à tous, bienvenue. Je suis ravi de vous retrouver pour ce nouvel épisode dans lequel on va encore une fois parler de Napoléon, mais aujourd'hui, on va l'aborder sous un angle un peu différent, celui de l'héritage et de la commémoration. Vous le savez, le cinq mai, c'était le bicentenaire de la mort de Napoléon et cet anniversaire a été commémoré en France par le président de la République, Emmanuel Macron. Et cette commémoration, c'était ce qu'on peut appeler un exercice d'équilibriste. Un équilibriste, c'est une personne qui marche sur un fil en essayant de garder l'équilibre et quand on dit qu'une chose est un exercice d'équilibriste, ça veut dire que c'est un exercice assez difficile dans lequel on essaye d'équilibrer les choses et de ne pas tomber dans un extrême ou dans l'autre.

D'un côté, rappeler son héritage, D'un côté, rappeler son héritage, l'héritage que Napoléon a laissé à la France sans pour autant passer ses erreurs sous silence, sans pour autant ignorer les erreurs qu'a commises Napoléon. Mais c'est vrai que les politiciens en général ont tendance à instrumentaliser l'histoire, autrement dit à se servir des grands personnages et des grandes dates historiques pour légitimer leur discours politique. Donc c'est un peu ça qu'a fait indirectement Emmanuel Macron de manière relativement subtile. Donc, on ne peut pas vraiment se fier au discours des politiciens pour vraiment comprendre cet héritage napoléonien, alors moi, j'ai préféré demander l'avis d'un historien et plus particulièrement un professeur d'histoire agrégé Florent Vandepit qui est aussi auteur de plusieurs livres de culture générale. Il a très gentiment accepté de répondre à mon invitation et c'est notre interview que je vais vous diffuser maintenant.

Vous allez voir qu'on est resté dans un registre assez formel. On a utilisé le vouvoiement. Je pense que j'aurais pu lui proposer de se tutoyer, mais je me suis dit que ça serait un bon exercice pour vous d'entendre quelque chose d'un peu différent, un registre un peu plus formel. Vous allez voir qu'on n'a pas fait d'efforts particuliers pour adapter notre façon de parler. J'ai demandé à Florent Vandepitre de parler normalement comme il le ferait avec ses élèves.

Il a une diction qui est très claire, donc à mon avis, vous n'aurez pas beaucoup de mal à le comprendre, mais vous allez voir qu'il y a quelques expressions, des mots de vocabulaire que vous n'avez peut-être jamais entendus. Donc pour ça, comme d'habitude, je vous invite à lire la transcription de l'épisode, mais essayez d'abord d'écouter cette interview une ou deux fois sans lire la transcription et à mon avis, vous serez déjà capable d'en comprendre une grande partie. Voilà, sans plus attendre, je vous propose d'écouter cet entretien avec le professeur Florent Vandapit.

Florent Van

de Pit, bonjour.

Bonjour.

Merci d'avoir accepté mon invitation.

C'est moi qui vous remercie.

Je je sais que vous êtes très occupé en ce moment, en plus avec la rédaction d'un d'un nouveau livre, il me semble

Tout à fait, sur la géopolitique cette fois.

D'accord, donc un sujet assez différent de celui qui va nous intéresser aujourd'hui, quoique.

Il y a une forme de géopolitique dans les guerres napoléoniennes et dans son héritage

Alors moi, je vous ai découvert en préparant l'épisode précédent justement consacré à Napoléon en lisant votre entretien sur le site géo et vous vous êtes donc historien. Pourquoi vous avez décidé de vous intéresser à Napoléon en particulier

Alors, Napoléon est en effet une des grandes figures de l'histoire de France donc on ne peut que s'y intéresser quand on enseigne l'histoire quand on essaie justement d'écrire des livres d'histoire de la même manière j'ai commis un livre sur le général de Gaulle toutes ces grandes figures ont contribué évidemment à construire l'histoire de France.

Et est-ce qu'il y a des choses en particulier dans son histoire personnelle qui vous ont interpellé ou alors c'est simplement ce qu'il incarne, le personnage et ses ses réalisations et son poids dans l'histoire qui vous ont intéressé

Oui à titre très personnel je ne suis pas un de ces passionnés, puriféraires de Napoléon qui collectionnent les objets lui ayant appartenu, je le considère plutôt à sa place de homme qui a marqué l'histoire de France mais au même titre que d'autres épisodes, il ne s'agit nullement d'une passion pour Napoléon.

Alors pour commencer, j'aimerais qu'on parle justement de l'image de Napoléon et avant de lancer cet enregistrement, on parlait en antenne de du fait qu'on le compare un peu parfois maintenant à un influenceur. Qu'est-ce que vous en pensez Est-ce que pour vous Napoléon était vraiment un communicant d'exception, un communicant d'avant l'heure ou finalement pas plus qu'un Louis quatorze et les souverains qui l'ont précédé.

De la même manière que les souverains qui l'ont précédé, ils utilisaient effectivement plusieurs moyens pour construire son image. Napoléon a voulu contrairement à eux se présenter comme une synthèse de l'histoire de France, il a voulu à la fois reprendre à son compte l'héritage de la monarchie, mais aussi l'héritage de la révolution et c'est peut-être cette volonté de rassembler les deux héritages qui constituent une différence majeure. Dans les méthodes, il utilise notamment l'art, on peut penser évidemment au monumental tableau le sacre de David qui est un peu le symbole de cette mise en scène du pouvoir comme les rois ils se représentent lors du couronnement, ils récupèrent les symboles du pouvoir, ce couronnement a lieu dans une cathédrale, mais contrairement au roi, il se couronne lui-même, il tourne le dos à l'hôtel, il choisit Paris, la ville des révolutions. Donc il construit sa légende à travers l'art, à travers les écrits également. On peut penser bien sûr à ses mémoires qu'il a dicté donc à l'un de ses fidèles Las Casès qui l'a accompagné jusqu'à Sainte-Hélène il se construit comme un chef d'état modernisateur qui a diffusé au monde les valeurs de la France.

Et de manière aussi un peu plus peut-être prosaïque ou triviale, il a construit aussi son image à travers son, on pourrait dire son style vestimentaire et son allure qui est très reconnaissable, qui est connue dans le monde entier avec cette façon très personnelle de porter le bicorne qu'il a plus ou moins voilà démocratisé et on a l'impression qu'il avait vraiment en tête voilà, tout ce plan en fait pour marquer les esprits à tout prix. Alors justement par rapport à son image, comment a-t-elle évolué après sa mort et pendant les deux siècles justement qui séparent sa mort de l'époque actuelle

On entend beaucoup de polémiques aujourd'hui autour du bicentenaire, on y reviendra, ces polémiques elles ont accompagné les deux-cent ans d'histoire depuis sa mort, donc le cinq mai mille-huit-cent-vingt-et-un. Pour faire simple et essayer de faire quelques découpages historiques, il a été globalement l'objet d'un discrédit sous la restauration puisque lui succède les frères de Louis seize, Louis dix-huit et Charles dix et ces rois essaient de le présenter comme un usurpateur du trône de France. C'est à ce moment-là d'ailleurs que se construit sa légende noire pour essayer de porter du crédit au roi. Dans un deuxième temps avec la monarchie de Louis-Philippe, il est l'objet d'une véritable napoléon pour essayer d'intégrer les libéraux, Louis-Philippe propose d'ailleurs en mille-huit-cent-quarante le fameux retour des cendres donc sous la coupole des invalides troisième temps sous le second empire Napoléon est clairement adulé Napoléon trois son neveu met en scène la filiation avec son oncle et depuis sous la république à partir de mille-huit-cent-soixante-dix c'est on trouve justement une république globalement mal à l'aise, mal à l'aise qui conserve une partie de son héritage, une vision universaliste de la France, une volonté de conquête qui se traduit par la colonisation, mais une république qui en rejette une autre partie de cette figure, en particulier la personnalisation extrême du pouvoir.

Donc, juste pour expliquer à nos auditeurs ce retour des cendres de Napoléon, c'est un épisode assez important. Les cendres, donc pour expliquer, c'est quand une personne décède, on peut soit décider de l'enterrer, soit de brûler son corps et on collecte ses cendres pour les mettre en général dans une urne. Et étaient les cendres de Napoléon avant d'être rapatriées en France, justement Alors Napoléon est mort à à

à plusieurs milliers de kilomètres de la France, l'objectif était vraiment de l'isoler, d'éviter un retour en politique, retour qu'il avait réussi dans un premier temps pendant la période que l'on appelle les cent jours après une première restauration des Bourbons et cette fois-ci les Anglais pour éviter tout nouveau retour en politique l'ont exilé sur une île il est décédé en mille-huit-cent-vingt-et-un et il a été enterré donc dans un premier temps.

Ok et ces cendres ensuite ont été rapatriées et mises aux invalides elles se trouvent toujours. D'ailleurs, c'est qu'a eu lieu la commémoration officielle cette année. Est-ce que vous avez regardé la la commémoration et le discours d'Emmanuel Macron

Non à titre très personnel je suis peu féru des commémorations, c'est moment l'on instrumentalise l'histoire au service d'un discours politique ne m'intéresse pas après des éminents historiens étaient présents à cette commémoration, l'ont commenté également puisque c'est évidemment un moment de célébration de l'histoire, mais à titre très personnel, je n'étais pas devant ma télévision à ce moment-là.

Et concernant ce qui ce qui nous fascine aussi chez Napoléon et nous en particulier les Français, c'est cette figure du sauveur. Parce que voilà certains historiens disent que les Français recherchent toujours cette figure du sauveur, de la personne qui va réussir à retourner complètement la situation résoudre tous les problèmes que Napoléon incarne vraiment cette cette figure Est-ce que vous êtes d'accord avec cette analyse ou est-ce que pour vous Napoléon représente cette cette figure du sauveur cher français.

J'ai souvent présenté effectivement comme un homme providentiel comme quelqu'un qui a réussi à réconcilier les Français après la période révolutionnaire il succède, il ne faut pas l'oublier, une période relativement sombre de l'histoire de France et en particulier à la terreur, donc un régime d'exception qui consistait à éliminer tous les opposants à la révolution française. Napoléon qui succède donc à cette période essaie de restaurer un semblant d'unité en France unité d'un point de vue religieuse unité d'un point de vue politique et de ce point de vue il est effectivement en un certain sens le restaurateur d'une France apaisée au début du dix-neuvième siècle.

Et ensuite, il est même allé beaucoup plus loin en avec la création de l'empire et en faisant de, en donnant une puissance à la France qu'elle n'avait jamais obtenue auparavant et qu'elle n'obtiendra plus jamais après sa mort. Évidemment

c'est lui qui est à l'origine de cette puissance européenne de la France puisque sous son contre une grande partie de l'Europe que ce soit par des conquêtes directes ou par des alliances, c'est aussi ces conquêtes qui construisent la légende noire de Napoléon puisqu'au au fur et à mesure de ses conquêtes, il installe des membres de sa famille sur les différents trônes de France et ça ça contribue également sa légende d'autocrates, de dictateurs autoritaires.

Donc oui, Napoléon a donné à la France une grandeur qu'elle n'avait jamais eue avant et qu'elle ne retrouvera jamais par la suite Et c'est ça aussi qui constitue sa légende noire. Est-ce que pour vous, il a été un dirigeant, un souverain plus et débat

qui remonte d'ailleurs à l'époque même de la et débat qui remonte d'ailleurs à l'époque même de la restauration. Chateaubriand sous la restauration le présentait comme qui avait provoqué la mort de cinq millions de Français. Cette légende noire elle se construit dès les années mille-huit-cent-vingt, mille-huit-cent-trente. Alors qu'en réalité le total des appelés ne dépassait pas deux virgule cinq millions. D'après les spécialistes et en particulier Thierry Lens, le directeur de la fondation Napoléon, en mille-sept-cent-quatre-vingt-douze, mille-sept-cent-quatre-vingt-dix-neuf et bien loin des bilans des guerres de l'ancien régime même si euh, ces guerres de l'ancien régime et notamment de Louis quatorze sont souvent accompagnées de très fortes mortalités en raison euh, d'intenses famines et surtout également très loin évidemment des guerres contemporaines la première guerre mondiale à titre de comparaison a tué dix millions de personnes même si évidemment l'armement n'avait rien à voir.

Alors pourquoi on a cette image justement d'un d'un despote sanguinaire et qui n'accordait aucune valeur à la vie de ces soldats Cette image s'est construite lui-même

participe à cette prise de distance vis-à-vis de la lui-même participe à cette prise de distance vis-à-vis des soldats pour construire sa figure de général. En tant que général, il n'était pas pour afficher une quelconque empathie vis-à-vis de la vie humaine et les soldats les grognards de l'armée napoléonien sont largement vus comme des artisans de cette puissance de la France dans l'Europe.

Les grognards, c'est le surnom qu'on donnait aux aux soldats des de l'armée napoléonienne, c'est ça

Tout à fait, alors on les appelait les grognards parce ils avaient tendance à se plaindre étant donné les longues marches pour aller conquérir le reste de l'Europe et notamment la Russie et donc grenier signifiant se plaindre en français le nom leur est resté collé à la peau.

Ah d'ailleurs, parce que moi donc j'habite en Pologne et en France, on a cette expression être saoul comme un polonais Et je ne sais pas si vous en connaissez l'origine, mais justement ça ça vient aussi de de l'armée napoléonienne. Je ne sais pas si vous avez entendu cette cette anecdote.

Pas du tout.

Donc en fait, à l'origine, apparemment, c'était une expression plutôt positive parce que Napoléon avait dit à ses soldats, aux soldats français, si vous voulez être ivre ou être saoul, pas de problème, vous pouvez boire, mais soyez saoul comme des Polonais parce que les Polonais buvaient beaucoup, mais ils étaient très courageux sur le champ de bataille. Donc voilà, à la à l'origine, c'était une expression plutôt positive, Bref, pour revenir aux guerres napoléoniennes, est-ce qu'on ne pourrait pas dire que Napoléon a été un peu forcé de faire ces guerres justement par à cause de la pression des des monarchies européennes

Alors Napoléon n'a évidemment pas la pleine d'une guerre déclenchée sous la révolution déclenchée d'une guerre déclenchée sous la révolution déclenchée par les appels à l'aide de Louis seize aux autres souverains européens pour tenter de rétablir le caractère absolu de son pouvoir cette guerre est même constamment alimentée par ses ennemis On peut penser en mille-huit-cent-deux, mille-huit-cent-trois à la paix d'Amiens qui ne dure que quelques mois et qui est très vite rompu par les Britanniques lors du retour au pouvoir de William Pitt qui cherche à assurer au Royaume-Uni sa suprématie maritime et qui reprend donc le combat contre la France. Napoléon n'est donc pas évidemment le seul responsable des guerres qui le qui se sont déclenchées en Europe à cette époque-là.

On dit aussi parfois que c'est Napoléon et en particulier l'occupation de l'armée napoléonienne qui a donné naissance au sentiment nationaliste dans certains pays européens, notamment en Prusse. Est-ce que c'est un chef d'accusation qu'on peut ajouter à la liste à charge contre Napoléon, selon vous, ou est-ce que c'était une tendance de toute façon qui s'inscrivait dans l'histoire

Napoléon a encouragé le mouvement des nationalités évidemment ça fait partie de ces valeurs de la révolution française qui au début sont pensées comme positives on adopte un regard plutôt anachronique si on lui reproche d'avoir permis à ces nationalités de s'émanciper puisque certes le mouvement des nationalités de lieu au nationalisme qui lui-même déclenche la première guerre mondiale mais c'est aussi ce mouvement qui permet à des peuples de se gouverner eux-mêmes et le droit des peuples à se gouverner eux-mêmes et lui-même célébré par l'ONU après mille-neuf-cent-quarante-cinq.

Alors, donc on a parlé un peu de du côté géopolitique justement de de Napoléon et maintenant j'aimerais qu'on aborde deux points qui sont vraiment au coeur des polémiques sur la commémoration du bicentenaire de Napoléon, dont le premier qui est ce fameux rétablissement de l'esclavage. Alors est-ce que vous pouvez nous redonner un peu le le contexte et nous expliquer pourquoi Napoléon a décidé de rétablir l'esclavage

L'esclavage avait été aboli en mille-sept-cent-quatre-vingt-quatorze par la révolution française au nom du principe d'égalité entre les êtres. Il est rétabli en mille-huit-cent-deux par le premier empire par pur pragmatisme. Il s'agit alors d'un contexte de rivalité avec l'Angleterre, les planteurs des Caraïbes françaises ayant favorisé l'occupation du Royaume-Uni pendant la période l'abolition théorique de l'esclavage avait été décrétée. Abolition théorique puisqu'elle n'a jamais été mise en oeuvre dans les territoires qui étaient alors largement passés sous souveraineté britannique. Donc en réalité, ce rétablissement de l'esclavage est uniquement pour Napoléon perçu comme un moyen de récupérer les colonies françaises, de développer l'économie sucrière et d'un point de vue géopolitique de récupérer son influence dans les Caraïbes.

On a longtemps prêté à Joséphine de Beauharnais une intervention personnelle dans ce rétablissement de l'esclavage, elle est évidemment la première épouse de Napoléon premier, elle-même issue d'une famille de Martinique, de planteurs donc établis à la Martinique et ses propres enfants issus d'un premier mariage étaient eux-mêmes propriétaires de plusieurs plantations à Saint-Domingue. Cette légende noire qui prête à Joséphine une intervention auprès de Napoléon pour ses propres intérêts personnels et largement fausses la première est le gros enjeu pour la France, ce sont les intérêts économiques et stratégiques.

Donc c'était plus une question de pragmatisme entre guillemets que qu'un point de vue plutôt idéologique.

Tout à fait on est dans le pur pragmatisme, il s'agit de reprendre le contrôle des îles au détriment du Royaume-Uni et non un quelconque une quelconque idéologie une quelconque histoire de valeur ce serait complètement anachronique aussi de penser ça.

Et quelle conséquence a eu cette décision de Napoléon et ce rétablissement de l'esclavage

Ce rétablissement de l'esclavage a pour conséquence de permettre à la France de les îles mais évidemment perpétue l'exploitation de l'homme noir par l'homme blanc jusqu'en mille-huit-cent-quarante-huit puisque c'est la deuxième république qui aboli cet esclavage définitivement en ce qui concerne les colonies françaises, une première avancée avait été accomplie en mille-huit-cent-quinze le congrès de Vienne avait interdit la traite négrière mais ce sont encore des dizaines de milliers de personnes qui payent de leur vie cette décision de rétablissement de l'esclavage pour le simple rétablissement d'une puissance politique et économique de la France.

Et ensuite les autres grands perdants ou plutôt les grandes perdantes du règne de Napoléon, ce sont les femmes, en particulier avec la place qu'il leur a donné dans le code civil. Est-ce que est-ce que Napoléon était simplement un homme de son époque ou alors est-ce que lui personnellement était plus patriarche que les autres selon vous

Alors Napoléon est largement un homme de son époque, on lit parfois que ces représentations méridionales ont pesé sur sa représentation de la femme. À titre personnel, je souscris peu à ce genre de clichés, peu importe sa région d'origine en France à mon sens ce n'est pas directement lié. On lui prête notamment cette maxime, la femme et la propriété de l'homme comme l'arbre fruitier et celle du jardinier la femme servant donc à l'homme pour assurer sa reproduction, mais ces idées sont largement partagées dans la France du début du dix-neuvième siècle, Il n'y a pas véritablement de débat sur la place de la femme dans la société comme on a pu le penser à travers la révolution française, la femme est largement pensée comme mineure même au sein de cet épisode.

Donc pour vous le code civil c'est pas spécialement un retour en arrière par rapport aux avancées entre guillemets de de la révolution.

Absolument pas, le code civil est profondément misogyne, il exprime clairement que les femmes doivent obéissance à leur mari, Le mariage demeure cette institution profondément inégalitaire juste pour prendre un exemple pour alimenter ce discours autour d'un code civil misogyne un mari peut demander le divorce en cas d'adultère pour la femme il faut que l'adultère soit commis à domicile. Les peines sont différentes. La femme risque l'emprisonnement de trois mois à deux ans de prison. Pour l'homme c'est une simple amende de cent à deux mille francs donc le code civil est bien misogyne Un exemple encore plus frappant même si le jeu de mots est involontaire pour l'homme, il est même autorisé d'user de la violence conjugale. L'homme peut ainsi joindre la force à l'autorité, s'écrit clairement dans le code civil aboli depuis évidemment, même si dès l'origine le code civil mentionne que cette force il doit l'utiliser avec modération Mais on a bien un code civil qui est profondément misogyne.

Pourtant, ça ne représente en rien un retour en arrière sous la révolution l'espoir des femmes a été globalement déçu Il y a bien eu un engagement réel des femmes sous la révolution, l'émergence d'une parole féministe. On pense bien évidemment à Olympe de Gouges qui a donc proposé une déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Mais les femmes ne sont pas récompensées de cet engagement et elles restent largement les grandes perdantes de la révolution française. Pour faire très simple également très court à la fin du dix-huitième siècle, on pense la femme en fonction d'un rapport genré entre les sexes. Les femmes doivent s'occuper du domicile, être les gardiennes du foyer alors qu'aux hommes on réserve le domaine extérieur la politique et donc le code civil ne correspond en rien à un retour en arrière mais il est plutôt un moyen d'affirmer un état de fait sur une condition féminine jugée inférieure.

Alors, maintenant, pour finir, on va s'intéresser de plus près à cette polémique autour de la commémoration. Selon vous, quel héritage Napoléon nous a laissé On entend parfois cette citation Napoléon est une part de nous. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça Est-ce que pour vous, Napoléon a toujours une place prépondérante dans l'identité française.

Alors Napoléon en tant que tel pas nécessairement en revanche les innovations mises en place par Napoléon ont évidemment façonné la France contemporaine et on pense en premier lieu à cette réorganisation juridique, il a non seulement fait réaliser le code civil mais aussi les codes criminels, le code commercial, le code rural, le code de procédure civile, il participe donc d'une uniformisation du droit. Dans un autre domaine, il a réorganisé la France d'un point de vue économique. Il est à l'origine bien sûr de la création de la banque de France mais également du tranche terminale une monnaie qui a eu cours en France jusqu'en mille-neuf-cent-huit et qui a permis sa déclinaison dans les états africains avec le franc CFA de la même manière dans l'éducation ou la manière de la concevoir du moins en France c'est Napoléon qui a créé les lycées il prévoyait d'en créer un dans chaque département même si ceci n'était évidemment que réservé aux hommes et encore plus au plus aisé un système de bourse existait mais globalement ce n'était pas conçu pour tout le monde c'est une institution très élitiste mais c'est lui qui n'a créé, c'est lui qui a créé également le baccalauréat en mille huit cent huit, ce rite de passage bien français bien qu'attaquer ces dernières années qui consiste à ouvrir l'enseignement supérieur et enfin il a considérablement renforcé le poids de l'État, participer à cette centralisation dans l'héritage de la monarchie largement récupérée par la République, il a conservé les départements de la révolution, il a créé bien sûr la fonction de préfet qui donc dans chaque département sont chargés de relayer la parole de Paris et qui reste l'un des symboles de cette organisation politique de la France.

Et de cette centralisation qui qui lui était chère et qui nous est resté jusqu'à aujourd'hui.

La centralisation française remonte au treizième siècle, ce n'est pas lui qui a eu l'idée d'installer la dans certains domaines une rupture, il est largement également l'héritage de cette histoire de France multiséculaire et il a essayé de réaliser cette synthèse entre la monarchie et la République née de la Révolution.

Et comment il est enseigné aujourd'hui dans les écoles françaises Comment on parle de Napoléon Vous qui êtes professeur

Alors Napoléon est évidemment enseigné dans les programmes scolaires notamment au lycée qu'il a contribué à créer, le programme du lycée lui accorde une bonne place en début d'année de première, il est surtout enseigné sous l'angle de la révolution française. L'un des grands débats qui est dans l'enseignement scolaire, c'est de savoir si Napoléon est l'héritier de la révolution française ou au contraire s'il en est le fossoyeur. Est-ce que Napoléon a inscrit dans le droit les principes de la révolution ou au contraire était-il un simple retour à l'ordre ancien. C'est sous cet angle-là qu'il est enseigné et non pas sous un angle polémique, l'image du rétablissement de l'esclavage est largement enseignée dans l'établissement dans les établissements scolaires de la même manière que le recul sur la place de la femme dans la société est évidemment enseigné avec beaucoup de recul aujourd'hui et heureusement.

Et au contraire j'ai l'impression qu'on insiste peut-être un peu moins sur toutes les batailles, les guerres, le côté militaire et conquérant de du personnage.

Ouais l'histoire bataille est complètement dépassée dans l'enseignement tel qu'il se réalise aujourd'hui dans dans dans les établissements scolaires, on enseigne bien quelques noms de batailles, les français connaissent notamment Waterloo, donc la défaite de Napoléon, mais ce n'est plus du tout sous cet angle militaire qu'il est enseigné, c'est plutôt du fait des passionnés justement de l'histoire qui ont récupéré ces grands moments de l'histoire napoléonienne mais presque pas dans l'enseignement scolaire.

Et vous en tant qu'historien, qu'est-ce que vous pensez de cette polémique qu'il y a autour de son bicentenaire et plus généralement autour de la commémoration de Napoléon.

Je peux dire que on s'attendait à une commémoration de Napoléon, on s'attendait évidemment à son lot de polémique. J'ai été relativement surpris par l'ampleur de celle-ci. Satisfait d'une part de voir que l'histoire occupe encore tant de place dans les discussions publiques mais évidemment déçu de voir que cette comme Marine Le Pen célèbre Napoléon pour en comme Marine Le Pen célèbre Napoléon pour en faire cet héritage donc d'une histoire, elle l'a célébré comme celui qui a tant fait pour son pays, comme celui qui a tant donné au monde dans ce qui dans ce qui est une simple relecture évidemment des faits du passé, on ne peut être que déçu que ces figures du passé soient encore aussi clivantes aujourd'hui on est clairement ici dans le champ des mémoires c'est-à-dire de l'instrumentalisation du passé au service du présent et non pas dans le champ de l'histoire qui elle consiste à diffuser un discours le plus neutre si tant est que ce soit possible du moins le plus objectif possible et le plus proche des faits.

Justement le le discours d'Emmanuel Macron, c'était un peu un exercice d'équilibriste parce qu'il était toujours entre ce qu'on appelle la célébration et la commémoration et lui, il a dit dans son discours qu'il fallait faire une commémoration éclairée, je cite. Pour vous, quelle est la, est-ce qu'il y a d'abord une distinction vraiment entre célébration et commémoration Est-ce que les deux ont une fonction, un rôle à jouer, qu'est-ce que vous en pensez

Alors Emmanuel Macron pour revenir sur son discours, il a à mon sens réussi cet exercice d'équilibrisme. Il faut dire que le en même temps il le connaît bien, il le pratique depuis deux-mille-dix-sept, il a mentionné un portrait en clair obscur pour reprendre ces mots, mais les fautes étaient présentes dans le discours et notamment l'esclavage, le rétablissement de l'esclavage. La commémoration est une mise à distance d'un épisode du passé pour essayer de lui accorder une place dans le présent alors que la simple célébration relève ici plus de la légende du mythe et donc d'une mise à l'honneur qui serait orientée politiquement. on peut être satisfait c'est de ce discours équilibré, on peut être plus déçu, c'est que les commémorations soient aussi choisies et que certains événements de l'histoire de France contemporaine soient tout bonnement écartés, on peut penser bien évidemment à la commune de Paris du printemps mille-huit-cent-soixante-et-onze, cette expérience révolutionnaire au début de la troisième république qui a permis à des milliers de parisiens de prendre le contrôle de la capitale pour tenter une expérience d'égalité juridique, d'égalité politique, de démocratie directe en France, cette commune de Paris elle n'a tout bonnement pas été ni célébrée c'était une évidence mais ni commémoré et c'est plutôt un regret par le pouvoir en place.

Donc pour vous, c'est vraiment une question de choix politique.

Clairement et ça montre qu'on n'est pas dans la simple commémoration pourtant Emmanuel Macron pour le citer il a fustigé ceux qui veulent effacer le passé au motif qu'il ne correspond pas à l'idée qu'il se fond du présent. Effacer le passé c'est pourtant ce qu'il a semblé faire avec la commune de Paris sans lui rendre hommage mais pour défendre également notre président, la commune de Paris elle-même avait cédé à cette tentation qui consiste à effacer l'histoire en déboulonnant la colonne vendôme sur laquelle trônait un certain Napoléon.

Très bien, on pourrait s'arrêter là-dessus, mais j'ajouterais juste une dernière remarque parce que je sais

Pourtant c'était quand même une chute un peu travaillée.

C'était une très bonne chute, mais je ne peux pas ne pas rebondir sur l'épisode de la commune, notamment parce que moi, je vais y consacrer un épisode du podcast prochainement, donc je l'annonce maintenant, mais aussi parce que vous avez écrit un livre sur les gilets jaunes et peut-être que ce choix d'Emmanuel Macron, en tout cas du pouvoir de ne pas célébrer la commune, ça pourrait être lié à au traumatisme qu'il a vécu avec ce mouvement des gilets jaunes

Alors effectivement l'histoire de la commune a été commémorée ou célébrée par les gilets jaunes. À plusieurs reprises, ils se sont rendus devant le mur des fédérés, le lieu d'exécution des derniers communards à la fin de l'épisode donc au mois de mai mille-huit-cent-soixante-et-onze, Emmanuel Macron souffre peut-être de ce traumatisme effectivement lié à la commune de Paris plus généralement on peut penser que ça ne correspond pas à ses valeurs, ça ne correspond pas à son image de l'histoire de France aussi simplement que ça et c'est justement on voit les limites d'une commémoration qui n'en est pas véritablement une et qui reprend à gros les avatars d'une célébration de Napoléon.

Très bien, Florent Vandepite, merci beaucoup pour vos réponses. Je pense que les auditeurs vont apprendre énormément de choses. Je vous rappelle que la transcription de l'épisode sera disponible sur le site. Et certaines expressions certaines expressions qui, à mon avis, sont un peu un peu complexes. Donc voilà, merci beaucoup.

Je rappelle que vous avez écrit un livre, un petit livre sur les gilets jaunes qui est très intéressant pour mieux comprendre ce mouvement. Je sais que c'est un sujet qui intéresse beaucoup les auditeurs et le livre sur lequel vous travaillez en ce moment, quand est-ce qu'il va être publié.

Alors je travaille sur deux livres, les cent fiches de géopolitique pour les nuls pour le mois d'août et surtout je suis très occupé par l'histoire du monde pour les nuls qui est apparaître pour septembre deux-mille-vingt il s'agit d'une réédition d'un livre donc de Philippe Moreau des Farges et je vous invite à le découvrir au mois de septembre deux-mille-vingt.

Deux-mille-vingt-et-un peut-être parce que sinon on est déjà en retard.

Effectivement mais c'est mon côté très bien.

Très bien vaste programme en tout cas donc voilà merci beaucoup pour votre temps et vos réponses.

Merci à vous pour la proposition et ce fut un plaisir.

Plaisir partagé, au revoir.

Au revoir.

Merci d'avoir écouté l'épisode jusqu'au bout, j'espère que ça vous a plu. Comme d'habitude, je vous invite à laisser un petit commentaire sur la page de l'épisode sur inner french point com. Dites-moi ce que vous en avez pensé, dites-moi si vous voulez plus d'interviews de ce style avec des experts dans différents domaines. Moi en tout cas, j'ai adoré discuter avec Florent Vandepit, j'ai appris beaucoup de choses et je serais très content si vous avez envie d'avoir plus d'épisodes dans ce style. D'ailleurs, il m'a déjà dit qu'il serait ravi de revenir pour discuter d'un autre sujet dans le podcast.

C'est tout pour aujourd'hui et on se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode. Ciao.

Podcast: InnerFrench
Episode: E94 Faut-il commémorer Napoléon ?