Terroriste un jour dirigeant courtisé le lendemain Abou Mohamed Al-Jolani le nouvel homme fort de la Syrie qui a abandonné son nom de guerre pour sa véritable identité Ahmed Al-Sharah n'est pas le premier à connaître une telle réincarnation mais dans son cas c'est allé très vite Anthony Blinken, le secrétaire d'État américain, en tournée au Moyen-Orient, a reconnu samedi qu'un contact direct avait été établi entre les États-Unis et les nouveaux maîtres de la Syrie. Même s'ils sont toujours étiquetés comme groupes terroristes par Washington, il y a même une prime de 10000000 de dollars toujours attachés au nom d'Al Giolani. La France de son côté envoie dès demain une mission à Damas chargée des premiers contacts avec les autorités prélude à la réouverture d'une ambassade fermée depuis plus d'une décennie. Personne ne veut rater la reconnexion avec un pays resté longtemps fermé en huis clos avec ses alliés russes et iraniens. La vitesse de ce virage est impressionnante connaissant le passé djihadiste des nouveaux dirigeants et la méfiance que cela suscite dans les chancelleries.
Et comment s'explique cette rapidité
Alors d'abord la chute du régime Assad en quelques jours seulement a montré qu'il était devenu une coquille vide une fois privé du soutien de ses parrains. Les manifestations massives qui se sont déroulées vendredi, premier jour de grande prière depuis la chute du régime, montrent que l'action des rebelles bénéficie d'un large soutien populaire. La seconde raison est que personne, pas même les Israéliens qui ont bombardé massivement la Syrie depuis une semaine et détruit soixante-quinze pour 100 de son équipement militaire n'a intérêt à voir ce grand pays s'enfoncer dans le chaos. Tout le monde a au contraire intérêt à le voir se stabiliser, ne serait-ce que pour pouvoir accueillir les réfugiés qui souhaitent rentrer chez eux. Mais surtout le précédent irakien montre que le chaos profite d'abord aux plus extrémistes en l'occurrence l'état islamique né de l'implosion du pays après l'invasion américaine.
Le même potentiel ravageur existe en Syrie ou Daesh n'a pas été totalement éradiqué.
N'y a-t-il pas d'hésitation Pierre à traiter avec des dirigeants issus du djihadisme Alors il y a
eu une prudence initiale dans les réactions occidentales justement pour cette raison Nicolas mais le mot clé est désormais vigilance qui n'empêche pas d'accompagner les premiers pas pragmatiques des nouveaux dirigeants leurs engagements à respecter les minorités religieuses les droits des femmes leur volonté de stabiliser le pays face à d'innombrables défis. On pense évidemment aux talibans en Afghanistan en deux-mille-vingt-et-un et le débat initial pour savoir s'ils avaient changé, on a eu la réponse depuis. La Syrie connaîtra-t-elle une autre voie avec des islamistes qui ont officiellement rompu avec le djihadisme C'est là que le mot vigilance prend tout son sens. Mais les Syriens méritent notre soutien et notre aide après ces années d'horreur au cours desquelles nous n'avons pas fait grand-chose. Le pays qui fonce en Syrie sans État d'âme, c'est la Turquie avec des factions syriennes à sa solde, elle voit une chance d'éloigner les kurdes de sa frontière et d'étendre son influence néo-ottomane, une raison de plus en fait pour ne pas laisser les Syriens en tête à tête avec Recep Tayyip Erdogan.
Pierre Haski merci.