Moi cette année, je n'ai pas pris de bonnes résolutions parce que je n'arrive jamais à les tenir, par contre j'ai fait un plan pour le premier trimestre, un trimestre c'est une période de trois mois. Si vous êtes abonné à notre newsletter, vous savez qu'on travaille en ce moment sur notre nouveau cours avancé et qu'à cause de ça, on ne peut pas publier aussi souvent qu'avant, mais j'avais annoncé qu'on publierait au moins un épisode du podcast par mois et dès janvier, ce plan est tombé à l'eau. Ce plan a échoué. Il y a plusieurs raisons à ça. La première, c'est qu'on a eu quelques problèmes techniques sur le site qui ont pris pas mal de temps à résoudre.
Ensuite, j'ai eu le Covid. Les symptômes étaient très légers comme j'ai reçu mes trois doses de vaccin, mais quand même j'étais un peu fatigué. Et la troisième raison c'est que j'ai toujours autant de mal à jongler entre le podcast et la chaîne YouTube. On a réussi à publier deux vidéos sur la chaîne YouTube en janvier, mais ça s'est fait un peu au détriment du podcast. J'ai vraiment envie de continuer les deux, mais pour être honnête, ce n'est pas facile.
Bref, à part ça, il y a une dernière raison qui est plus positive, c'est qu'on a commencé à mettre en place une nouvelle identité visuelle. Vous l'avez peut-être remarqué. D'ailleurs certains d'entre vous m'ont demandé pourquoi on avait choisi une montgolfière comme nouveau logo, une montgolfière autrement dit un ballon d'air chaud qui permet de se déplacer en volant. Peut-être que ça vaut le coup que je vous en dise quelques mots maintenant au cas où d'autres se poseraient la question. Alors, pourquoi avons-nous choisi la montgolfière comme nouveau logo Ah oui, je dis nous parce que je n'ai pas pris cette décision tout seul.
Anya et Ingrid ont donné leur avis aussi. Déjà parce que c'est une invention française, la montgolfière a été inventée par les frères montgolfiers, logique au dix-huitième siècle. C'est un mode de transport qui a marqué les esprits, notamment à travers les célèbres romans de Jules Verne comme Cinq semaines en ballon. Aujourd'hui, la montgolfière est rarement utilisée pour voyager, mais à l'époque, elle a permis d'explorer de nouvelles contrées, de nouveaux endroits et comme elle se déplace assez lentement, je trouve que c'est une bonne métaphore pour l'apprentissage d'une langue, apprendre une langue c'est comme faire un voyage en montgolfière, on avance lentement, mais on peut admirer le paysage. Au lieu d'être focalisé sur la destination, on profite du voyage.
C'est ce que je vous recommande toujours avec le français. Appréciez chaque moment que vous passez à apprendre et toutes les portes qui s'ouvrent à vous petit à petit. Et la dernière raison, c'est que nous voulons être moins centrés sur la France, Le monde francophone est bien plus vaste, bien plus grand que la France et à l'avenir, on aimerait vous parler davantage de ces autres régions où les gens parlent français. C'est pour ça que notre graphiste a aussi créé des paysages, des sortes de tableaux digitaux qui représentent des villes d'autres pays francophones comme Dakar, Lausanne ou Montréal. Et pour relier toutes ces destinations, quoi de mieux qu'une montgolfière.
Voilà, vous voyez qu'on a pas mal réfléchi à tout ça. On est très fier de cette nouvelle identité et on espère qu'elle vous plaira autant qu'à nous. Je sais que quand on fait ce genre de changement, il y toujours des gens qui préfèrent l'ancienne version, mais laissez-nous encore quelques semaines pour finir de la mettre en place et pour vous y habituer je suis sûr que vous l'apprécierez aussi. À part ça, j'ai une autre bonne nouvelle à vous annoncer, Ingrid va enregistrer plus d'épisodes pour le podcast. Grâce à elle, on devrait pouvoir publier deux épisodes par mois, c'est notre nouveau plan.
Alors oui, on n'a pas réussi en janvier, mais là Ingrid a déjà enregistré le prochain épisode donc on pourra le publier dans deux semaines sans faute et moi ça me met un peu la pression pour être plus régulier. L'idée, c'est aussi de vous habituer à une autre personne que moi, à une autre façon de parler. En plus, Ingrid a d'autres domaines de prédilection que les miens, donc ça va vous permettre de découvrir de nouveaux sujets. Bref, c'est le plan pour les prochains mois et là aussi on espère que ce nouveau format vous plaira. Il y a deux ou trois ans, un auditeur a laissé un commentaire pour dire qu'il aimait bien le concept du podcast, mais qu'il avait arrêté de l'écouter parce que j'étais trop.
Alors j'avais déjà vu ce mot dans des médias américains, mais je ne savais pas exactement ce qu'ils voulaient dire. Je savais juste que c'était un mot pour qualifier une personne qui a des idées de gauche, mais j'avais aussi l'impression que c'était une sorte d'insulte. Bon pour être honnête, j'y ai pas plus prêté attention que ça, je sais qu'on ne peut pas plaire à tout le monde, mais récemment je me suis rendu compte que le mot wok était arrivé en France et que certains politiciens disaient que le wokisme, l'idéologie wok importée des États-Unis était un danger pour la société française. Donc là, j'ai commencé à m'y intéresser un peu plus, à la fois pour savoir si oui ou non je suis woke et pourquoi une partie de la classe politique française semble avoir tellement peur de ce mot. Oui parce que moi, je n'ai pas envie d'être un danger pour la société française.
Pour comprendre la genèse du mot wok, on va commencer par voyager dans l'espace, le temps, direction les États-Unis à la fin du dix-neuvième siècle. À l'origine, le mot wok n'avait pas de connotation politique. C'était un mot d'argot utilisé par les Afro-Américains pour dire a wake, en français éveillé, le contraire d'endormie. Quand on ne dort pas, on est éveillé. Mais le mot éveillé peut avoir un autre sens, un sens plus spirituel.
D'ailleurs dans plusieurs religions comme par exemple le bouddhisme, le but est de s'éveiller spirituellement, de sortir du sommeil dans lequel on était plongé jusque-là. C'est une idée qu'on retrouve dans le terme wok, cette idée d'éveil, un éveil qui correspond à la sortie de l'esclavage. Oui parce que souvenez-vous que nous sommes à la fin du dix-neuvième siècle juste après l'abolition de l'esclavage aux États-Unis, les afro-américains ont acquis leur liberté, mais n'ont toujours pas les mêmes droits que les blancs et le racisme est loin d'avoir disparu surtout dans les États du Sud. C'est en ce contexte qu'un ancien esclave devenu professeur, Booker T Washington publie un texte intitulé l'éveil du noir. Je vais vous en lire le début traduit par mes soins.
Certains peuvent être tentés de demander, un garçon ou une fille noire n'ont-ils pas autant le droit d'étudier la grammaire française et la musique classique qu'un jeune blanc Je réponds oui, mais vu l'état actuel de la race noire dans ce pays, il faut quelque chose de plus. Alors vous voyez, Bookirty Washington, c'était un pragmatique. Il pensait que les noirs américains ne pourraient pas s'éveiller seulement grâce à la grammaire française et à la musique classique. Dans son texte, il raconte comment il a réussi à changer de vie en faisant des études dans un institut qui acceptait les garçons de couleur et comment il a ensuite créé sa propre école à tout ce qui dit dans l'Alabama pour offrir la même éducation à la communauté locale. Cette éducation comme il le dit, c'était pas des cours de français et de musique classique mais plutôt un apprentissage qui mélangeait théorie et pratique pour apprendre l'agriculture, la mécanique, et caetera.
Selon lui, c'était en acquérant ce genre de compétences que les afro-américains sortiraient de la pauvreté et s'émanciperaient qu'ils deviendraient des membres de la société à part entière. Bref, Washington avait une vision très capitaliste des rapports sociaux et raciaux, il pensait que c'était grâce aux affaires, aux échanges commerciaux que les noirs obtiendraient le respect des blancs et que leurs relations se normaliseraient. Peut-être qu'il avait lu Adam Smith, le père du capitalisme qui croyait lui aussi qu'on pouvait obtenir la paix grâce au libre marché. Je vais vous lire une autre citation du texte de Washington qui illustre ça. L'homme blanc respecte le vote de l'homme de couleur qui fait dix mille dollars de chiffre d'affaires.
Et plus l'homme de couleur gagne d'argent, plus il fait attention à son vote. Là c'est intéressant parce que Washington donne une dimension politique à cet éveil des noirs américains, vous avez entendu qu'il fait référence au vote. Si un noir a du succès dans les affaires, les blancs respecteront ses opinions et par extension son vote. Pour résumer, Washington appelait les noirs à utiliser la liberté qu'ils venaient d'obtenir pour s'éveiller. Cet éveil devait se faire grâce à l'éducation, une éducation qui leur donnerait les moyens de mieux gagner leur vie et de se faire une place dans la société aux côtés des blancs.
Mais dans la communauté afro-américaine de cette époque, l'éveil avait aussi un sens plus terre à terre, plus pragmatique, celui de rester sur ses gardes, autrement dit de faire attention. L'esclavage avait été aboli, mais les injustices et les discriminations étaient toujours bien présentes. Être wok dans ce contexte, ça voulait dire garder les yeux ouverts pour ne pas se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Plus tard, quand le mouvement pour les droits civiques a émergé, la dimension politique de l'éveil des noirs américains s'est renforcée. En mille-neuf-cent-soixante-deux, l'écrivain afro-américain William Melvin Kelly a publié un article dans le New York Times intitulé Dedans, il demandait aux noirs de prendre conscience de la façon dont ils étaient traités par la société et des inégalités dont ils étaient victimes.
En mille-neuf-cent-soixante-cinq, juste après l'adoption du Civil Rights Act, Martin Luther King a fait un discours à l'université d'Oberlin dans l'Ohio dans lequel il a exhorté les étudiants à être éveillés pendant la grande révolution et à être une génération engagée. Cinquante ans plus tard, le combat a repris face aux cas de violence policière commises contre des citoyens noirs. Le mouvement Black Lives Matters a vu le jour et il a adopté le slogan Stay woke. Un slogan qui s'est rapidement diffusé dans le monde entier grâce aux réseaux sociaux. Mais avec cette diffusion massive, il a commencé à apprendre un sens plus large.
Être woke, ça ne voulait plus seulement dire être conscient des injustices subies par les noirs, mais plus généralement être conscient de toutes les discriminations visant des minorités, que ce soit pour leur couleur de peau, leur orientation sexuelle, leurs origines, et caetera. Et c'est là que les choses se sont un peu compliquées. Mais avant de parler de ça, il faut que je vous explique pourquoi les vrais inventeurs du wokisme, bien c'est nous les Français. Et oui, vous savez peut-être que mes compatriotes et moi, on a tendance à penser que le monde tourne autour de nous et qu'on a tout inventé, même le wokisme. Pour comprendre ça, on reste aux États-Unis, mais on remonte le temps encore une fois jusqu'aux années soixante-dix.
À cette époque, plusieurs philosophes français commencent à devenir très populaires dans les universités américaines. Parmi eux, on peut citer Jacques Derrida, Michel Foucault ou encore Gilles Deleuze. Les étudiants s'échangent leurs textes sur les campus et ces philosophes deviennent quasiment des rock stars. Le problème, c'est qu'à part leur nationalité, ils n'ont pas grand-chose en commun. Ils ont des idées et ils s'intéressent à des domaines assez éloignés, mais aux États-Unis, on les rassemble sous le nom de french theory comme s'ils appartenaient à un même courant.
Il faut dire que même pour les Français, leurs textes ne sont pas faciles à comprendre et pour les traducteurs, c'est carrément un cauchemar. Donc les traductions qui circulent dans les universités américaines sont parfois plus proches de l'interprétation personnelle du traducteur ou de la traductrice que d'une transcription fidèle des idées de ses philosophes. Mais alors qu'est-ce que c'est que cette french theory qui devient tellement à la mode dans les années soixante-dix et qu'on appelle aussi parfois post structuralisme ou postmodernisme. L'idée centrale de cette théorie telle qu'elle est comprise dans les universités américaines, c'est la déconstruction. Un concept philosophique popularisé par Jacques Derrida qui s'inspire de Heidegger et Nietzsche.
Si on simplifie énormément la déconstruction, c'est l'idée que la société et la culture sont entièrement constituées de systèmes de pouvoir et d'oppression. Ça, c'est aussi un thème qu'on trouve dans l'oeuvre de Foucault. Mais ces systèmes sont difficiles à discerner parce qu'ils sont cachés. La déconstruction est donc l'outil qui nous permet de les dévoiler, de les révéler. Dans les universités américaines, on se met à tout déconstruire en commençant par la littérature.
Oui parce que ces philosophes étaient étudiées dans les départements de lettres françaises, pas dans ceux de philosophie. Donc, c'est là que leurs idées ont été appliquées en premier. Au lieu d'analyser les œuvres à travers une perspective littéraire, la structure de l'histoire, les figures de style, les personnages, et caetera, les étudiants en font une lecture à la fois politique et psychanalytique et s'intéressent parfois plus à l'auteur et au contexte d'écriture qu'au texte lui-même. C'est pour ça que la french theory est si fascinante pour les étudiants. Elle permet de tout questionner.
Chacun peut avoir sa propre interprétation, sa propre explication et il est difficile de les contredire. La french theory rencontre un tel succès qu'elle finit par donner naissance à de nouvelles disciplines universitaires dans les années quatre-vingt, les culturales studies. Parmi elles, on trouve par exemple les women studies, les black studies et plus récemment les queer studies. À chaque fois, l'objectif est de voir comment des minorités ont été opprimées et invisibilisées par le pouvoir dominant. Par exemple, les femmes qui pendant longtemps étaient complètement absentes des livres d'histoire comme si elles n'avaient joué aucun rôle dans les grands événements historiques.
Ces nouveaux départements ont logiquement trouvé écho dans les mouvements militants. Grâce à leur collaboration, ils ont notamment permis la mise en place de politiques de discrimination positive affirmative action comme les quotas pour la sélection des étudiants dans les universités. Mais à cause de ce lien que les culture studies ont avec les mouvements activistes, elles sont maintenant accusées de faire plus de militantisme politique que de recherches académiques. Pour conclure sur la french theory, le plus paradoxal, c'est qu'au moment où ces philosophes français étaient célébrés aux États-Unis, ils ont commencé à être oubliés en France. Dans nos universités, on est passé à autre chose.
Les idées de Derrida, Foucault et Deleuze n'ont pas eu autant d'impact qu'aux États-Unis et c'est seulement bien plus tard qu'on a découvert avec surprise cette fameuse théorie française. Mais revenons-en au mot wok. Comme je vous le disais un peu plus tôt, grâce à la popularité du mouvement Black Lives Matter, le slogan Stay woke a commencé à être repris par d'autres mouvements militants. Être woke est devenu synonyme d'être conscient de toutes les discriminations envers les minorités, qu'elles soient liées à la race, au genre, à l'orientation sexuelle, et caetera. Et le moins qu'on puisse lire, c'est que ces mouvements ont été très actifs ces dernières années, surtout pendant le mandat de Trump, ils ont utilisé les réseaux sociaux pour dénoncer ce qui leur semblait être des injustices ou au contraire des privilèges aussi bien dans les institutions que les entreprises ou les médias.
Mais ces critiques wok n'ont pas plu aux républicains. Déjà parce qu'ils considéraient qu'elles n'étaient pas fondées et qu'elles étaient une nouvelle version du politiquement correct. Ensuite, parce que ces critiques prenaient uniquement pour cible les hommes blancs hétérosexuels comme s'ils étaient responsables de tous les maux, de tous les problèmes de la société américaine. Donc les conservateurs se sont eux aussi mis à utiliser le mot wok mais comme une insulte dans la même veine que social justice warrior. Dans la même veine, ça veut dire dans le même style ou en suivant le même raisonnement.
Mais les républicains n'étaient pas les seuls à dénigrer les idées wok. Même du côté démocrate, on a commencé à entendre quelques critiques. Par exemple en octobre deux-mille-dix-neuf, l'ancien président démocrate Barack Obama a déclaré, je traduis la citation, l'idée de la pureté, de l'absence de compromis, qu'on est éveillé politiquement et tout ça, vous devriez arrêter ça très vite. Le monde est compliqué et plein d'ambiguïté. Bref, le sens péjoratif du mot wok a progressivement remplacé son sens originel.
Il est devenu un adjectif pour désigner des personnes souvent jeunes, endoctrinées par les qui refusent le dialogue et passent leur temps à donner des leçons de justice sociale. Logiquement, avec toutes ces connotations négatives, les gens qui se revendiquaient wok ont fini par abandonner ce terme. Si bien qu'aujourd'hui, il est presque uniquement utilisé de manière péjorative par leurs adversaires. Voilà, j'ai essayé de résumer les positions des deux camps pour mieux comprendre les origines du débat. J'espère ne pas avoir été trop caricatural.
Il y a eu tellement de polémiques ces dernières années que c'est difficile de rester factuel, mais j'espère que c'est plus clair pour ceux d'entre vous qui ne s'intéressent pas aux États-Unis. Maintenant retour en France pour voir si oui ou non mes compatriotes sont wok. Commençons par revenir à cette fameuse french theory qui a eu une telle influence dans les universités américaines. Comme je vous l'ai dit chez nous, elle n'existe pas parce qu'on ne considère pas que ces philosophes fassent d'un même groupe. Pour nous, Michel Foucault appartient au courant structuraliste qui n'est pas la même chose que la déconstruction de Jacques Derrida ni la philosophie de Gilles Deleuze.
Ensuite, dans les universités françaises, il n'y a pas de département de culture studies qui se spécialise dans l'étude des minorités. Ce qui est intéressant avec ce modèle, c'est qu'il permet de croiser plusieurs disciplines l'histoire, la sociologie, la littérature, les sciences politiques, et caetera pour mieux comprendre la façon dont une minorité est traitée par la société. Mais en France, on considère que les champs universitaires ne doivent pas être mélangés. L'histoire, la sociologie, la littérature sont des disciplines indépendantes qui utilisent des méthodologies différentes. Donc on peut étudier par exemple l'évolution de la place des homosexuels en histoire, les pratiques des familles homosexuelles en sociologie, la perception de l'homosexualité dans les romans en littérature, mais on ne peut pas créer une nouvelle discipline qui croise toutes ces recherches.
Et les milieux académiques sont encore plus réticents à le faire quand l'objet d'études est une minorité parce qu'ils ont peur que leurs recherches prennent une dimension politique ou militante et qu'elles perdent leur objectivité. Et oui, n'oubliez pas que nous sommes les héritiers du positivisme d'Auguste Comte, on considère que les questions scientifiques doivent être séparées de toute considération politique, que la science doit rester neutre et cela concerne aussi bien les sciences sociales que les mathématiques ou la physique. Mais les choses commencent à changer. Par exemple, ces dernières années, plusieurs universités ont créé un département études sur le genre, notamment l'université Paris huit, ce qui a suscité de nombreuses critiques évidemment. Donc ça, c'était pour la partie disons théorique, la french theory n'existe pas chez nous et nos universités ne fonctionnent pas de la même manière.
Mais selon une partie de la classe politique et des intellectuels français, le plus grand danger du wokisme, c'est qu'il menace notre modèle, un modèle que nous avons hérité des lumières et de la révolution de dix-sept-cent-quatre-vingt-neuf, l'universalisme républicain. Alors qu'est-ce qu'on entend exactement par universalisme républicain C'est l'idée selon laquelle dans la République française, tous les citoyens ont les mêmes droits et doivent être traités de la même manière, peu importe leur couleur de peau, leur sexe, leur religion, et caetera. C'est vraiment un principe fondateur de notre société, un principe qui a été repris par tous les gouvernements ou presque depuis la révolution. Aux yeux de la République française, il n'existe aucune communauté. Si vous êtes français ou française, vous avez les mêmes droits que tous les autres Français et Françaises, point barre.
Votre sexe, vos origines et vos convictions religieuses n'ont aucune importance. D'ailleurs, les questionnaires basés sur des critères raciaux, ethniques ou religieux sont illégaux en France. Si vous êtes une entreprise et que vous faites un sondage auprès de vos clients en leur demandant quelle est leur race ou leur religion, vous risquez cinq ans de prison et trois-cent-mille euros d'amende. Donc vous voyez qu'on prend ça très au sérieux. D'autant plus que nous sommes assez sceptiques vis-à-vis de la notion de race.
Elle a même été effacée de la constitution en deux-mille-dix-huit, car on estime que ce concept n'a pas de réalité scientifique et qu'il finit toujours par conduire au racisme. Mais est-ce qu'effacer le mot race de notre constitution veut dire que le racisme n'existe pas en France Évidemment non Et quand on voit la popularité grandissante des politiciens d'extrême droite depuis une vingtaine d'années, on peut penser qu'il est loin d'avoir disparu. Dans tous les cas, vous comprenez pourquoi l'universalisme républicain semble incompatible avec le mouvement woke. Si on reconnaît l'existence de communautés qui ne sont pas traitées de la même manière que d'autres, on admet que notre modèle ne fonctionne pas. Mais certains politiciens et intellectuels pensent qu'il y a un autre risque encore plus grand avec le wokisme, celui que notre république se transforme en une dictature des minorités.
Le problème, c'est que notre modèle universaliste n'est universaliste que sur le papier. Pour illustrer ça, on peut prendre le droit de vote des femmes. En France, les femmes n'ont obtenu le droit de vote qu'en mille-neuf-cent-quarante-quatre, soit un siècle et demi après la création de notre fameux modèle. Avant cette date, les gouvernements ne voyaient aucune contradiction prend le fait que leur universalisme républicain refusait le droit de vote à plus de la moitié de la population. Ça, c'est l'exemple le plus évident, mais il en existe plein d'autres qui sont documentés par des milliers d'études sociologiques réalisées depuis les années soixante-dix.
Certaines personnes ont plus de mal à trouver du travail à cause de leurs origines réelles ou supposées. Le salaire moyen des Françaises est inférieur de dix-sept pour cent cent à celui des Français. Bref, ces discriminations sont bien réelles, mais à cause de notre universalisme républicain, il est difficile d'en admettre l'existence, de les mesurer et de les corriger. Un autre argument que les anti woke français utilisent souvent, c'est que la France n'a pas la même histoire que les États-Unis. L'esclavage a seulement, là vous ne pouvez pas voir, mais je dis seulement avec des gros guillemets, l'esclavage a seulement existé dans nos colonies et nous n'avons jamais eu de politique de ségrégation raciale.
Donc il n'y a pas les mêmes tensions autour de cette à propos des statues aux États-Unis, ces statues qui ont été déboulonnées. Déboulonnées, ça veut dire démonter, enlever une chose du support auquel elle est attachée. Aux États-Unis depuis la mort de George Floyd, il y a des militants qui déboulonnent des statues de personnages historiques qui selon eux ne devraient pas être célébrés à cause de leur implication dans l'esclavagisme. Bien, nous aussi, on se pose des questions sur notre passé. Il y a une polémique similaire concernant Jean-Baptiste Colbert.
Jean-Baptiste Colbert, c'était un des principaux ministres de Louis quatorze, le roi soleil. Il est connu pour avoir favorisé le développement du commerce et de l'industrie en créant des manufactures royales. J'en ai parlé dans ma vidéo sur les marques de luxe françaises. Donc c'est un personnage assez célèbre de l'histoire de France. Il y a des statues, des rues et même une salle de l'Assemblée nationale à son nom.
Le problème, c'est que Colbert est aussi à l'origine d'un texte de loi qui devait réglementer l'esclavage dans les colonies, le code noir. Donc depuis une dizaine d'années, certaines associations et mouvements militants demandent que les statuts à son effigie soient retirés et qu'on change le nom de sa salle à l'Assemblée nationale. Mais le président Emmanuel Macron a déclaré, je cite, la République n'effacera aucun nom ou aucune trace de son histoire. J'ai déjà parlé de la différence entre mémoire et commémoration avec l'historien Florence Zandepit dans notre épisode sur Napoléon. Je ne vais pas trop m'attarder dessus aujourd'hui.
Je dirais juste que si quelqu'un vient d'une famille qui a connu l'esclavage quelques générations plus tôt, je comprends qu'il soit en colère quand il voit des statues en l'honneur de personnages qui ont participé à ce système. Et je suis pas d'accord avec la position d'Emmanuel Macron, déboulonner une statue, ça ne veut pas dire effacer l'histoire, On doit continuer d'enseigner l'histoire de la manière la plus objective possible sans effacer aucun nom, mais les citoyens ont le droit de choisir quel personnage ils veulent célébrer dans l'espace public et il est normal que leurs préférences changent avec le temps et l'évolution des moeurs. Bref, pour conclure sur cette question de l'universalisme français, c'est un argument qui est souvent utilisé par la droite française pour critiquer le wokisme, mais dont les limites apparaissent clairement dès qu'on s'intéresse un peu aux discriminations que certaines minorités subissent en France. Ok donc, on a vu qu'au niveau théorique, au niveau des idées et des discours officiels, une grande partie de la classe politique est opposée au wokisme, mais qu'en est-il du reste des Français et des Françaises Qu'en est-il de C'est une expression formelle pour dire quelle est la situation avec Qu'en est-il du reste de la société Que pensent les Français et les Françaises du wokisme bien déjà, il est intéressant de noter que beaucoup de mes compatriotes ne savent pas vraiment de quoi il s'agit, ne savent pas vraiment ce que signifie ce mot.
Le magazine L'Express a réalisé un sondage qui montre que seuls 6 pour cent des Français connaissent la pensée woke. Bon, c'était il y a un an, en février deux-mille-vingt-et-un, donc ce chiffre doit être plus élevé aujourd'hui, mais je suis prêt à parier qu'au moins la moitié de mes compatriotes ne comprennent toujours pas ce mot. Dans les mouvements militants et parmi les politiciens de gauche, personne ne se revendique non plus, personne n'utilise ce label. Pourtant, depuis quelques mois, les politiciens français et certains journalistes répètent que les jeunes sont contaminés par l'idéologie woke venue des États-Unis. C'est pourquoi deux sociologues ont décidé de faire une étude avec le très sérieux institut Montaigne afin de vérifier si ce discours est fondé ou non.
Je vous lis une partie de leurs conclusions. La jeunesse française n'est pas majoritairement en phase avec le mouvement woke Si les jeunes sont plus sensibles au genre et au racisme structurel que leurs parents et les baby boomers, ces deux thèmes ne préoccupent qu'une minorité de la jeunesse française. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je trouve cette affaire assez étrange. Pourquoi certains politiciens passent-ils leur temps à parler des dangers du wokisme alors que les citoyens ne comprennent pas ce mot et n'adhèrent pas majoritairement aux idées qui sont derrière. C'est ce qu'on va essayer de comprendre dans la dernière partie de cet épisode.
Eric Ciotti, député du parti les Républicains a déclaré que le wokisme est, je cite, la nouvelle terreur du siècle en référence à la terreur pendant la Révolution française. Eugénie Bastié, journaliste du Figaro a écrit que c'est une idéologie pire à contrer que le communisme. Brice Couturier, journaliste et producteur sur France Culture, compare les wok à une police de la pensée. Enfin, en octobre dernier, le ministre de l'éducation Jean-Michel Blanquer a créé un groupe de réflexion, laboratoire de la République dont un des objectifs est de, là encore je cite, protéger la jeunesse contre l'idéologie woke et la kanso culture. Bref, comme vous pouvez le voir, il y a une vraie panique chez certains politiciens français autour du mot woke.
Ce qui est drôle, c'est qu'il y a quelques mois, ces mêmes politiciens avaient eu une réaction très semblable avec un autre mot islamo gauchisme. La différence c'est que là, c'est un mot qui a été inventé chez nous. À l'origine, il faisait référence à une alliance militante entre des mouvements islamistes et des mouvements d'extrême gauche qui soutenaient la Palestine. Mais ensuite, il a été repris dans des contextes totalement différents, d'abord par l'extrême droite, puis par des politiciens et des intellectuels de tous bords. De tous bords, ça veut dire de toutes les couleurs politiques, aussi bien de gauche que de droite, de tous bords.
Et là, le terme islamo gauchisme a commencé à prendre un sens différent, un sens assez vague d'ailleurs pour critiquer certains élus et militants de gauche accusés d'être trop laxistes vis-à-vis des mouvements islamistes, de ne pas les condamner assez sévèrement après les attentats qui avaient visé la France notamment. Par exemple, vous avez peut-être entendu parler de l'attentat d'octobre deux-mille-vingt contre un professeur d'histoire géographie Samuel Paty. Samuel Paty a été assassiné par un terroriste islamiste parce qu'il avait montré des caricatures du prophète Mahomet en classe pour expliquer les attentats de Charlie hebdo à ses élèves. Moins d'une semaine après cet attentat, le ministre de l'éducation Jean-Michel Blanquer, encore lui, a déclaré dans une émission de radio que les universités, et certains partis de gauche favorisent une idéologie islamo-gauchiste qui conduit au pire. En gros, il a sous-entendu que les universités étaient indirectement responsables des attentats.
Quelques semaines plus tard, en février, la ministre de l'Enseignement supérieur a renchéri en disant qu'elle voulait organiser une enquête sur l'islamo gauchisme à l'université. En réponse à ces déclarations, des institutions prestigieuses comme le Centre national de recherche scientifique et la conférence des présidents d'universités ont réagi en disant que les universités n'étaient pas responsables des maux de la société, que leur rôle était seulement de les analyser et que le mot islamo gauchisme n'avait aucune réalité scientifique. Résultat, il a été progressivement remplacé par un autre mot wokisme bien sûr. Et là voilà la vraie fonction du wokisme, il sert d'épouvantail. Un épouvantail, c'est une sorte de mannequin qu'on met dans les champs ou les jardins pour faire peur aux oiseaux.
Il y en a un célèbre dans le Magicien d'Oz. Et en rhétorique, un épouvantail, c'est une technique qui consiste à exagérer ou déformer les arguments de son adversaire pour pouvoir facilement les réfuter, les contredire. Le wokisme a donc une double fonction. La première, c'est de caricaturer les positions des mouvements antiracistes, féministes, et caetera pour dénigrer leurs revendications. Si quelqu'un commence à dénoncer des discriminations racistes, des inégalités hommes femmes ou d'autres formes d'injustice, il suffit de le qualifier de wok et il perd toute crédibilité.
On n'a plus besoin de débattre avec lui. Mais le wokisme a aussi une deuxième fonction, celle de concentrer l'opinion publique sur ces débats pour la diviser et la détourner d'autres problèmes auxquels ils n'ont aucune solution comme le réchauffement climatique ou l'explosion des inégalités économiques. Voilà, on arrive à la fin de cet épisode. Bravo à vous qui l'avez écouté jusqu'au bout. Encore une fois, ce n'était pas un sujet facile, j'ai essayé de faire un tour d'horizon complet, mais il y aurait encore beaucoup de choses à dire.
Si vous voulez l'approfondir, je vous invite à consulter les articles qui seront dans les sources de l'épisode. N'hésitez pas non à laisser un commentaire sur le site pour nous dire si le mot wok a été importé dans votre pays, je suis curieux de le savoir et dans deux semaines vous retrouverez Ingrid pour un nouvel épisode. Merci et à bientôt.